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L’économistes Demba Moussa Dembélé revient pour Jeune Afrique sur le parcours et la pensée de Samir Amin, décédé le 13 août 2018.
Le chercheur Demba Moussa Dembélé a rédigé une biographie consacrée à Samir Amin en 2013, intitulé Samir Amin : Intellectuel organique au service de l’émancipation du Sud, publiée aux éditions du Codestria. Il a accepté de revenir pour Jeune Afrique sur la trajectoire intellectuelle de l’économiste franco-égyptien.
Jeune Afrique : Comment avez-vous connu Samir Amin ?
Demba Moussa Dembélé : J’ai d’abord connu Samir Amin à travers ses livres, que j’ai lu lorsque j’étais étudiant. Quand il a quitté l’Égypte, il est allé à Paris, mais il ne voulait pas vraiment vivre dans un pays occidental. Le premier président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, qui était très sensible à l’envergure de l’homme lui a proposé de venir à Dakar.
Et depuis, il est resté, vivant entre le Sénégal et Paris. On s’est ensuite rencontré avec le Forum du Tiers-monde et, petit à petit, on s’est rapproché en participant à différentes rencontres. Son bureau était toujours ouvert à Dakar et on partageait les mêmes convictions politiques.
Le virus de l’anticolonialisme l’a piqué et ça ne l’a jamais quitté
Quelles sont les grandes étapes de sa trajectoire intellectuelle ?
Dès le lycée, il a rencontré des mouvements progressistes, qui contestaient la domination de la Grande-Bretagne sur l’Égypte. C’est là que le virus de l’anticolonialisme l’a piqué et ça ne l’a jamais quitté. Il s’est ensuite mêlé à des groupes pro-communiste, avant de rejoindre le parti communiste lorsqu’il est venu étudier en France. À l’époque, le Parti communiste bénéficiait d’un grand prestige, grâce à son rôle dans la résistance, et à celui de l’URSS dans la victoire contre le nazisme.
Cette orientation marxiste l’a conduit à remettre en cause les thèses économiques venues de l’occident sur le développement des pays du Tiers-monde, de l’Afrique et des autres pays du Sud. Toute sa carrière intellectuelle a été marquée par la réfutation de ce que les économistes appellent les théories néoclassiques. Quand il a rencontré d’autres intellectuels, tels que Arghiri Emmanuel, André Gunder Franck et plus tard Immanuel Wallerstein, ils ont formé une sorte de groupe contestant non seulement les thèses des économistes standards mais également des institutions internationales, telles que la Banque mondiale ou le FMI.
L’économistes Demba Moussa Dembélé revient pour Jeune Afrique sur le parcours et la pensée de Samir Amin, décédé le 13 août 2018.
Le chercheur Demba Moussa Dembélé a rédigé une biographie consacrée à Samir Amin en 2013, intitulé Samir Amin : Intellectuel organique au service de l’émancipation du Sud, publiée aux éditions du Codestria. Il a accepté de revenir pour Jeune Afrique sur la trajectoire intellectuelle de l’économiste franco-égyptien.
Jeune Afrique : Comment avez-vous connu Samir Amin ?
Demba Moussa Dembélé : J’ai d’abord connu Samir Amin à travers ses livres, que j’ai lu lorsque j’étais étudiant. Quand il a quitté l’Égypte, il est allé à Paris, mais il ne voulait pas vraiment vivre dans un pays occidental. Le premier président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, qui était très sensible à l’envergure de l’homme lui a proposé de venir à Dakar.
Et depuis, il est resté, vivant entre le Sénégal et Paris. On s’est ensuite rencontré avec le Forum du Tiers-monde et, petit à petit, on s’est rapproché en participant à différentes rencontres. Son bureau était toujours ouvert à Dakar et on partageait les mêmes convictions politiques.
Le virus de l’anticolonialisme l’a piqué et ça ne l’a jamais quitté
Quelles sont les grandes étapes de sa trajectoire intellectuelle ?
Dès le lycée, il a rencontré des mouvements progressistes, qui contestaient la domination de la Grande-Bretagne sur l’Égypte. C’est là que le virus de l’anticolonialisme l’a piqué et ça ne l’a jamais quitté. Il s’est ensuite mêlé à des groupes pro-communiste, avant de rejoindre le parti communiste lorsqu’il est venu étudier en France. À l’époque, le Parti communiste bénéficiait d’un grand prestige, grâce à son rôle dans la résistance, et à celui de l’URSS dans la victoire contre le nazisme.
Cette orientation marxiste l’a conduit à remettre en cause les thèses économiques venues de l’occident sur le développement des pays du Tiers-monde, de l’Afrique et des autres pays du Sud. Toute sa carrière intellectuelle a été marquée par la réfutation de ce que les économistes appellent les théories néoclassiques. Quand il a rencontré d’autres intellectuels, tels que Arghiri Emmanuel, André Gunder Franck et plus tard Immanuel Wallerstein, ils ont formé une sorte de groupe contestant non seulement les thèses des économistes standards mais également des institutions internationales, telles que la Banque mondiale ou le FMI.
Ces universitaires ont beaucoup critiqué les Programmes d’ajustement structurel (PAS) dans les années 1980-1990, puis la mondialisation économique. Selon ces économistes, cette nouvelle phase du capitalisme a marqué une montée du pouvoir des multinationales, des entreprises privées. Les États ont reculé, ou en tout cas baissé la garde par rapport la régulation du secteur privé, notamment dans les pays développés.
Ce n’était pas seulement un théoricien. C’était un intellectuel engagé, qui ne se contente pas seulement de théoriser sur le monde, mais qui utilise son savoir aux cotés des peuples en lutte, pour remettre en cause les politiques dominantes. C’était l’un des pères fondateurs du Forum social mondial, du Forum social africain. Il a également bâti des institutions qui comptent en Afrique et dans le monde encore aujourd’hui. C’est le Codestria, le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique, basé à Dakar, et également l’ONG Enda Tiers-monde, qui s’occupe surtout de questions d’environnement et d’écologie.
Quels sont ses thèses les plus importantes ?
Je retiendrais la division entre centre et périphérie. Les thèses conventionnelles disent que, si les pays sous-développés n’arrivent pas à décoller, c’est par ce qu’il y a des facteurs internes, soit culturels, soit sociaux, qui les empêchent de se développer comme les pays occidentaux. Samir Amin dit non. On a un seul système capitaliste, composé du « centre » – États-Unis, Europe, Japon – et de pays périphériques. Ces pays de la périphérie leurs politiques sont faite de telles sortes qu’ils doivent s’ajuster au besoin d’accumulation des pays du centre, par l’exploitation de leurs ressources naturelles.
Son autre thèse importante, c’est le développement inégal. C’est une conséquence du libre-échange. Le commerce international fait partie du mécanisme par lequel le centre s’accapare les ressources de la périphérie. En effet, les produits manufacturés vendus par le centre à la périphérie sont onéreux alors que les matières premières exportés par les pays pauvres sont bon marché du fait du faible coût du travail. Conséquence : les richesses des pays en développement sont « pillées » par les pays développés et les écarts de revenus entre ces pays se creusent.
Enfin, la déconnexion. C’est l’idée que pour que les pays de la périphérie puissent se développer, il faut une certaine déconnexion par rapport au système mondial. Ils doivent pouvoir maîtriser leur commerce international et les flux de capitaux. Ce sont deux mécanismes par lesquels les pays du centre contrôlent ceux de la périphérie. Tant que les pays n’arrivent pas à contrôler ces deux mécanismes, il sera difficile de se développer. Des pays comme la Chine et l’Inde se sont d’abord déconnecté pendant une période, se sont réorganisés, pour pouvoir revenir dans le système à partir d’un rapport de force plus favorable.
On retrouve cette vision dans l’agenda 2063 de l’Union africaine, mais également dans les recommandations de la Cnuced et de la Cedeao, qui insistent sur la nécessité pour les pays africains de recouvrer des marges de manœuvres en matières de politiques économiques, et de rebâtir des États développementalistes.