Opinion : Au-delà des jougs

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Dans cet écrit, Bêbê Kambiré fait une analyse de la perception du développement et du comportement de certains citoyens qui sous-tendent le développement. Pour lui, professer que l’on recherche le développement, et avoir des comportements et une disposition d’esprit incohérents revient en quelque sorte à refuser le développement.

Il y a une propension à imputer à l’impérialisme (d’origine extérieure) les maux de nos pays, voire du continent africain. Il est vrai que la traite négrière, l’esclavage, la colonisation avec son corollaire de déboussolement culturel, la néo-colonisation, etc. sont des jougs indéniables. Même aujourd’hui, l’impérialisme existe sous diverses formes.

Incriminer l’impérialisme à tout bout de champ dans le diagnostic de nos maux n’est pas mauvais en soi ; cela peut dénoter un éveil de conscience. Mais, cette propension qu’il convient d’appeler le « paradigme du joug » tend à nous déresponsabiliser et peut nous faire prendre plus de temps qu’il en faut dans notre marche vers le développement, faute de remède adéquat.

Sans nier le poids de ces jougs, il est important de se poser ces questions : qu’est-ce que nous faisons pour nous développer malgré ces jougs ? Mieux, nos comportements, voire nos mentalités sont-elles cohérentes avec notre aspiration au développement ? Partant de l’idée que nous aspirons au développement, la question fondamentale est de savoir si nos comportements et les mentalités ou disposition d’esprit qui les sous-tendent peuvent nous y conduire ; car professer que l’on recherche le développement, et avoir des comportements et une disposition d’esprit incohérents revient en quelque sorte à refuser le développement. D’ailleurs, on ne devrait pas clamer l’aspiration au développement ; on devrait plutôt le penser et travailler à cet effet. Nous entendons par comportements incohérents des comportements généralisés contradictoires avec l’aspiration au développement, donnant l’impression que nous refusons le développement ; des comportements qui ne présagent pas d’un lendemain de progrès durable et partagé, si les choses restent en l’état.

Nous n’allons pas revenir sur les controverses relatives aux définitions du sous-développement et du développement. Certes, nous ne partageons pas l’idée de mentalités rétrogrades, mais nous partageons l’idée d’une mentalité propice à l’éclosion du développement. Il est vrai que le développement n’exclut pas l’existence de comportements incohérents, bien au contraire, c’est un processus complexe qui implique le façonnement des mentalités et des comportements favorables au développement.

A travers cette réflexion, nous questionnons certaines « manières de faire et de penser » généralisés ou isolés qui font obstacle au développement.

Nous n’avons pas pour intention d’encourager le pessimisme, d’indexer quelqu’un, encore moins de nous exclure des comportements incohérents. Nous n’avons pas l’intention ni la capacité de faire un recensement exhaustif des comportements ou des dispositions d’esprit incohérents, nous voulons plutôt susciter le débat, à charge pour les internautes de l’alimenter par des exemples significatifs. Nous sommes conscients que notre analyse, à défaut d’être étriquée ou impressionniste, peut être en deçà des attentes. Enfin, à force d’éviter un style virulent, nous risquons d’effleurer le fond du sujet. Raison de plus pour que vous contribuez à enrichir la réflexion !

 

Quant le patriotisme fait défaut

Le patriotisme nous paraît très capital pour le développement d’un pays. C’est pourquoi dans notre précédent article nous avons évoqué la nécessité de (re)penser notre idéal commun national de manière à ce qu’il stimule le patriotisme. Nous pensons que c’est à partir d’un patriotisme généralisé que nous serons vraiment « en voie de développement ». D’ailleurs, bon nombre de maux puissent leurs racines dans le manque de patriotisme.

Vu sous cet angle, certains maux qui minent notre société montrent un manque de patriotisme tant au niveau de ceux qui incarnent l’autorité de l’État qu’au niveau des simples citoyens. Au nombre de ces maux, on a la corruption, le non respect du bien commun et ce qu’il convient d’appeler l’égoïsme dommageable à l’intérêt général (au bien commun). Par égoïsme dommageable à l’intérêt général, nous désignons les comportements égoïstes peu soucieux de l’intérêt général. On a aussi la propension à s’attendre aux motivations supplémentaires pour accomplir certains services pour lesquels on est payé.

Une autre mentalité caractéristique du manque de patriotisme consiste à dire que les autres ont des comportements non exemplaires, donc, on ne s’interdit pas de les imiter, quand bien même qu’on est conscient de leur caractère répréhensible. La tentation d’imitation est encore plus grande lorsque les comportements non exemplaires proviennent des dirigeants. L’enseignement qu’on tire de cette mentalité est qu’autant les comportements non exemplaires des autorités influencent les comportements des citoyens, autant leur exemplarité fait des émules.

Par ailleurs, on a l’habitude de solliciter l’aide extérieure pour réaliser des infrastructures (les routes, les écoles, les centres de santé, etc.) au motif qu’on est pauvre, qu’on n’a pas assez de moyens. Là n’est pas le problème, le véritable problème, c’est la propension à effectuer des réalisations de moindre qualité ou à détourner ces fonds à des fins personnels ; créant parfois une déception des bailleurs de fonds au moment de leurs visites des infrastructures effectivement réalisées. Si fait qu’on n’avance pas vraiment puisqu’on passe le temps à tourner en rond, les besoins restant presqu’intacts. En masquant la réalité, on pense avoir rusé avec le bailleur de fonds alors qu’en fait cette « manière de penser et de faire » nuit à l’intérêt général. On a même l’impression que nous refusons vraiment le développement ; tout au moins, on a le sentiment que nous travaillons à vendre notre pauvreté pour capter des financements plus que nous travaillons à nous en affranchir.

Et puis, on ne peut pas dire qu’on n’a pas assez de moyens et en même temps utiliser le peu qu’on a ou qu’on nous donne de cette façon. Si on doit avoir à refaire les mêmes choses, quand est-ce qu’on aura les moyens pour financer les nombreux fronts de développement ?

On a également les pratiques de commissions ou de « pourcentage » qui sont préjudiciables à la qualité des commandes publiques. Certaines commandes publiques livrées sont tellement de basse qualité qu’ils sautent à l’œil. La mauvaise qualité de certains biens livrés est telle qu’on ne peut pas les utiliser.

Sans remettre en cause les autres facteurs explicatifs, nous pensons qu’il s’agit d’un manque de patriotisme ; chacun est mû par ses intérêts au détriment de l’intérêt général : c’est ce que nous appelons l’égoïsme dommageable à l’intérêt général ; l’État est le grand perdant.

Il faut souligner que pendant que nous « pillons » l’État, nous attendons beaucoup de lui (aides, subventions, etc.).

Ce manque de patriotisme explique en partie la défiance de l’autorité de l’État et la faible confiance aux institutions républicaines. Or, la discipline nous paraît être tout aussi importante que les autres ressources nécessaires au développement.

 

Des « idéaux » inquiétants

Le choix de l’oxymore exprime notre inquiétude quant à l’unicité entre ces « idéaux » et le Burkina Faso de demain, l’héritage que nous laisserons aux générations futures.

Notre société semble avoir perdu le sens de l’éthique du travail ; seules comptent la richesse matérielle, la position sociale, peu importe les moyens. Sauf à faire une observation impressionniste, on peut dire que la société actuelle est mue par l’argent (peu importe les moyens), l’ascension sociale (peu importe la manière) et ce qu’on appelle abusivement la « belle vie » (l’avidité pour le sexe, l’alcool, etc.). En conséquence, des antivaleurs ou des anti-modèles s’érigent en modèles. Si fait qu’on manque de repères et tous les moyens sont bons pour se faire de l’argent. En voulant plus avec le minimum d’efforts, on est tenté par la corruption, le gain facile, les raccourcis, etc. En conséquence, on perd le sens de l’éthique, le goût du travail, la culture du mérite, etc.

Pour conclure, il faut souligner que le tableau n’est pas totalement sombre. Il y a quand même des citoyens patriotes à tous les niveaux, des citoyens exemplaires et intègres qui ont un sens élevé du bien commun ou du bien public, qui ont une ténacité morale que n’influencent les pots-de vins ; seulement « il est difficile de jeuner dans un milieu où les gens fêtent tous les 365 jours de l’année ».

Il y a également dans les différents domaines d’activité, des gens qui, dans l’anonymat, travaillent pour un bien-être partagé.

Si le patriotisme qu’on reconnaissait aux Voltaïques tend à se diluer, cela veut dire qu’entre-temps on ne l’a pas entretenu, on n’a pas travaillé à le maintenir dans notre système de valeurs. Cela veut dire aussi qu’on peut le reconquérir. Dans cette (re)conquête, les institutions étatiques et les hommes qui les animent ont un rôle majeur.

Pour qu’on soit vraiment en « voie de développement », il faut que chaque burkinabè se dise que « ça vaut la peine de se dépenser pour l’intérêt général », surtout pour celui des générations futures. Partageant l’idée que les mentalités et les comportements sont des facteurs décisifs du développement, bien plus que les richesses naturelles, individuellement et collectivement, nous devons travailler à ce que nos comportements et nos mentalités soient en adéquation avec notre aspiration au développement ; car dans ce monde sans cœur, il appartient à chaque pays de se frayer son chemin malgré les jougs.

Tant pis pour ceux qui se lamentent !

KAMBIRE Bèbè

E-mail : kambirbb@gmail.com

Téléphone : 71 00 07 81

Pour aller plus loin :

KABOU Axelle. (1991). Et si l’Afrique refusait le développement ? Paris, L’Harmattan

OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre. (2003). « Etat, bureaucratie et gouvernance en Afrique de l’Ouest francophone. Un diagnostic empirique, une perspective historique ». Communication pour le colloque du CODESRIA à Dakar

PEYREFITTE Alain. (1995). La société de confiance. Paris, Odile Jacob (première parution)

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