Réputé cruel et vorace, « le loup excite les passions » et suscite toujours la peur dans l’imaginaire collectif: un héritage du Moyen Age pour l’historien Michel Pastoureau qui juge « un peu absurde » la réintroduction de cet animal là où il a disparu.
Publié lundi, le plan loup suscite déjà la colère des éleveurs qui dénoncent les attaques incessantes de brebis par les canidés et des écologistes furieux de constater qu’on continue de traiter le loup comme « un nuisible ».
« Avec le plan loup, j’observe la même chose qu’avec le plan ours: des positions déraisonnables des deux côtés », affirme Michel Pastoureau interrogé par l’AFP.
« Face à cet animal sauvage qu’est le loup on a du mal à raisonner du côté du bon sens », déplore-t-il en appelant à un débat « dépassionné ».
« Reprocher au loup de manger des brebis, c’est absurde. Les loups l’ont toujours fait. Mais remettre ces animaux artificiellement dans des régions où ils ont disparu, c’est un peu absurde aussi », estime l’historien et anthropologue, directeur d’études à l’EPHE (École pratique des hautes études), connu pour ses travaux sur les couleurs et les animaux.
« Mieux vaudrait favoriser la survie des loups dans les régions où ils sont encore massivement présents sans intervention de l’être humain », affirme-t-il.
Alors que la France compte environ 360 loups (répartis en 52 meutes), le plan du gouvernement vise une population de 500 spécimens d’ici 2023.
Espèce protégée, le loup, disparu en France dans les années 1930, est revenu par l’Italie à partir de 1992. Il est désormais présent dans les Alpes et en Provence, dans le sud du Massif central et dans l’est des Pyrénées et ses attaques se sont multipliées, de 1.400 brebis en 2000 à près de 10.000 en 2016.
« La peur du loup est un héritage du passé », rappelle Michel Pastoureau. « Pendant le haut Moyen Âge (Ve-IXe siècles) tout le monde a faim y compris les animaux. Les loups s’approchent des villages… ».
– ‘Le ridicule Ysengrain’ –
« Puis la peur du loup disparaît assez fortement au Moyen Âge central (Xe-XIIIe siècles), période d’expansion démographique et économique », poursuit l’historien qui rappelle combien l’image du loup Ysengrain est « ridicule » dans le « Roman de Renart »
« La peur du loup reviendra à la fin du Moyen Âge avec la crise climatique et alimentaire et durera jusqu’au XIXe siècle dans les campagnes européennes. Le loup tue non seulement le bétail mais s’attaque aussi aux êtres humains ».
Car oui, soutient l’historien, le loup s’attaque aussi à l’homme.
« Plusieurs travaux récents montrent que sous l’Ancien régime en France ce n’était pas si rare d’avoir des enfants voire des adultes attaqués ou dévorés par des loups. Ce n’est pas un mythe, le loup s’attaque à l’homme quand il est affamé. ».
Durant l’époque moderne (du XVIe au XIXe siècles), « la peur du loup a été immense ». « Ce n’est pas un hasard si +Le Petit Chaperon rouge+ est publié par Perrault à la fin du XVIIe siècle ou encore que l’affaire de la Bête du Gevaudan se déroule au XVIIIe siècle sous le règne de Louis XV »
« Le loup fait partie de la vie des campagnes d’un point de vue physique et mythologique. Une campagne où il n’y a pas de loups, ce n’est pas en Europe une vraie campagne », souligne l’historien. « Dans cette volonté de réintroduire le loup, il y a un peu de ça », ajoute-t-il.
Animal redouté, le loup n’a pas toujours été un pestiféré, dit encore Michel Pastoureau. Ainsi, « durant l’Antiquité et notamment chez les Romains avec la légende de Romulus et Remus allaités par une louve, le loup et surtout la louve sont valorisés ».
Cependant, nuance l’historien, « il y a chez la louve un aspect positif et un aspect négatif ». « C’est une bonne mère, elle est protectrice et nourricière. Mais c’est aussi une prostituée. En latin classique la +lupa+, d’où vient notre mot +lupanar+, c’est la femme de mauvaise vie », fait remarquer l’historien qui se rappelle en souriant avoir été louveteau dans sa jeunesse.
https://www.afp.com/fr/infos/334/lhomme-et-le-loup-une-longue-histoire-de-passion-et-de-peur-doc-10p92j1