Abraham Sanon est un jeune qui évolue dans le domaine de l’aviation civile. Il est pilote de ligne à la compagnie nationale burkinabè « Air Burkina » depuis 2017. Dans son parcourt scolaire, Abraham Sanon avait débuté dans la série G2 mais il a vite compris que cela n’allait pas lui permettre de réaliser le rêve qu’il nourrit depuis sa tendre enfance, celui de piloter un avion. C’est ainsi qu’il va se rendre aux USA pour se faire former. Pour lui, quand une chose te passionne il faut te donner les moyens de l’acquérir. Dans cet entretien, il s’ouvre à vous chers lecteurs au sujet de ce métier qu’il aime tant.
FasoPiC : parlez-nous du travail d’un pilote. Qu’est-ce qu’il fait concrètement ?
Abraham Sanon : je tiens à vous remercier pour cette opportunité que vous m’offrez. Alors je dirai que le métier de pilote c’est un métier noble. C’est un métier comme tous les autres, seulement qu’il demande beaucoup plus de rigueur. Le métier consiste à piloter l’avion, en assurant la sécurité des personnes mais aussi de l’avion parce que nous sommes responsables de l’avion que la compagnie à laquelle nous appartenons nous confie pour la mission. Aussi lorsqu’on est pilote on a un rôle commercial. Très souvent dans l’exercice de notre fonction vous nous voyez en uniforme. Cette tenue que nous portons a pour objectif de donner plus de visibilité à la compagnie dans laquelle nous exerçons et d’inciter les uns et les autres à venir vers cette compagnie.
FasoPiC : pourquoi avez-vous choisi le métier de pilote ?
Abraham Sanon : c’est un métier de passion. On ne se lève pas du jour au lendemain pour devenir pilote, car il y a beaucoup de contraintes qui y sont liées. Moi personnellement, depuis que j’étais tout petit j’ai toujours voulu être un pilote. J’ai eu la chance d’avoir mon père pilote donc cela a favorisé la réalisation de mon rêve. C’est vrai que je m’étais orienté au lycée vers une série qui ne me permettait pas d’être pilote. Je faisais la comptabilité, mais après je me suis rattrapé. Une façon de dire que quand on veut on peut. J’ai été aux Etats-Unis où j’ai poursuivi mes études et je me suis remis à niveau. J’ai fait un peu de maths et de physique avant de commencer la formation de pilote proprement dite. J’ai embrassé par amour le métier et depuis 7ans que je vole avec le même amour.
FasoPiC : à quoi ressemble une journée type de travail ?
Abraham Sanon: la journée du pilote commence comme la journée de tout le monde. Le matin on se prépare après un très bon repos. C’est un métier qui demande beaucoup de repos. On se présente à l’aéroport généralement 1h et demi avant le début de la mission. Une fois à l’aéroport on se rend dans la salle de briefing là où on rencontre les autres membres de l’équipage notamment les deux pilotes les hôtesses encore appelées personnel navigant commercial (PNC). Le commandant et moi on fait le briefing, on revoit la route que nous devons suivre, la contrainte liée à cette route, s’il y a des dernières informations qui n’ont pas pu être transcrites dans un document alors on nous les fait savoir. Ensuite on calcul la quantité de carburant à prendre en fonction du nombre de passager, de leurs masses ainsi que de leurs bagages. C’est pour cela on convoque les passagers 2heures avant le départ pour qu’au moins une heure avant le décollage qu’on ait toutes ces données qui vont nous permettre de calculer la quantité de carburant à prendre en fonction non seulement de la route, mais aussi en fonction de la météo. Si nous avons des orages en vu il faut prendre du carburant supplémentaire qui va aider à faire des détours. Aussi la météo à l’aéroport d’arriver et éventuellement l’aéroport de dégagement va être étudiée parce que si on est programmé sur Bobo-dioulasso ou Abidjan et à l’arrivé la météo n’est pas clémente on est obligé de dégager sur un aéroport qu’on appelle aéroport de dégagement. On fait ces petits calculs et après cela on briefe les PNC et ensemble on se dirige vers l’avion. Arrivé à l’avion, dépendant de celui qui fait le vol on se partage les tâches et dans l’avions chacun sait exactement ce qu’il doit faire. On fait le tour de l’avion, pour vérifier l’intégrité de l’avion, si tout est en place, ensuite, celui qui fait le vol va insérer le plan de vol dans l’ordinateur. Enfin on accueille les passagers. Voilà comment se prépare le vol et après la fermeture des portes on fait le démarrage et on décolle.
FasoPiC : Est-ce que votre travail exige des capacités particulières ?
Abraham Sanon: bien-sûr le pilote c’est celui qui anticipe il ne laisse jamais les choses venir. Il faut toujours attaquer, il faut toujours aller vers le problème, c’est pourquoi comme je le disais on se prépare au simulateur deux fois par ans. Cela fait que dans la vie réelle au cours du vol, on est toujours dans le collimateur où on anticipe. Même si les choses viennent on est prêt à toutes éventualités. Donc il faut avoir cette capacité réactive et d’analyse pour tirer un bon bilan afin de prendre de bonnes décisions et à temps.
FasoPiC : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans l’exercice de votre métier ?
Abraham Sanon: des difficultés on en rencontre bien-sûr et c’est ce qui nous passionne dans ce métier, parce que c’est un métier où tout est différent. Présentement nous sommes en décembre, c’est la période d’harmattan, on fait face à la poussière, par moment des vents forts et quand vous allez vers la côte il continue de pleuvoir. Tous les jours sont différents et les incidents on en rencontre.
FasoPiC : quel genre d’incident vous a le plus marqué ?
Abraham Sanon : en 2019, je faisais un vol de convoyage à Nairobi au Kenya et nous avons fait escale à Libreville pour se ravitailler avant de continuer à Nairobi. Mais en cours de vol, nous étions seulement 4 c’est à dire nous les deux pilotes avec deux mécaniciens. Au cours du vol, on a eu une première panne et dès que l’alarme s’est déclenchée nous avons résolu le problème. Puis il y a eu de nouveau une autre panne, dans ce genre de situation il y a des procédures à suivre mais avant nous avons paniqué un peu parce que la panne traitée est revenue. C’est normal nous sommes des humains. Le problème est qu’il fallait résoudre la panne et c’était tard dans la nuit en plus on survolait un peu le Congo et c’était dans la forêt, on était non loin de Entebbe. Nous ne pouvons pas nous poser il fallait continuer à Nairobi, alors avec un peu de calme nous avons pu régler le problème. Ce sont des incidents comme ceux-là qui arrivent mais qui ne sont pas mauvais en tant que tel. Ils vous permettent de vous remettre en cause et de réviser encore vos documents afin de vous remettre à niveau pour être un très bon pilote. Ça arrive tout le temps et moi je dirai que c’est ce qu’on aime mais on est prêt à tout pour réussir la mission qu’on nous confie.
FasoPiC : Malgré le fait que vous êtes pilote vous continuer à réviser vos cours ?
Abraham Sanon : oui. Comme je le disais le métier de pilote est un métier plein de contraintes. On ne finit jamais de bosser, la preuve chaque année nous sommes soumis à deux tests. Chaque année on va deux fois au simulateur. Le simulateur c’est une sorte de machine qui est fixé au sol mais qui représente toutes les caractéristiques d’un avion réel. On est là-dedans et on nous soumet à tous les tests possibles, toutes les pannes possibles, donc on est soumis à toutes sortes de pression et de panne pour que lorsque nous sommes face à de tels problèmes on arrive à s’en sortir. Chaque 6mois on fait ce type de test et chaque année avant l’âge de 40 ans on est soumis à un bilan médical pour se rassurer que nous sommes toujours en bonne santé pour conduire un avion. C’est un métier qui nous éprouve toute notre vie jusqu’à la retraite.
FasoPiC : Le 7 décembre de chaque année le monde entier célèbre la journée mondiale de l’aviation civile. Quelle est l’importance de cette journée pour vous ? Est-elle célébrée au Burkina Faso ?
Abraham Sanon: Au passage je souhaite une très bonne année à tous les internautes par rapport à la journée de l’aviation civile. Depuis 1964 on ne cesse d’œuvrer pour sécuriser le ciel et c’est un plaisir pour nous d’appartenir à cette famille. Elle nous rappelle que nous existons et que ça fait à peu près 56ans depuis 1964 que nous évoluons dans un monde qui a besoin d’être réglementé en termes de procédure, de navigation, de sécurité et de sûreté. Nous l’apprécions et nous l’accueillons avec beaucoup de joie et cela laisse voir dans quel état l’aviation peut être fragile parce qu’aujourd’hui nous faisons face à la Covid-19 ce qui a ralentie énormément le trafic dans le monde entier mais nous sommes optimistes et nous pensons nous relever.
Les années antérieures on a eu à commémorer cette journée car il y a eu des vols de découverte au profit des enfants et des conférences à travers lesquelles des acteurs de ce métier ont partagé leurs expériences avec la jeunesse. Cette année avec la Covid-19, on n’a pas pu commémorer cette journée sinon habituellement on fait une halte et on la commémore comme il se doit.
FasoPiC : Quels conseils avez-vous pour les jeunes qui rêvent de devenir pilote comme vous ?
Abraham Sanon: comme je l’ai dit c’est un métier de passion et tant qu’on est passionné, on se donne les moyens pour arriver à ses fins. Aussi il ne faut jamais négliger une matière en classe. On ne dit pas d’être excellent dans telle ou telle matière mais il faut être bon partout surtout en anglais parce que l’anglais reste la langue aéronautique et il faut bien la maîtriser. Le métier de pilote est un métier un peu renfermé. Nous ne sommes pas nombreux malheureusement c’est un métier qui demande beaucoup de moyen financier en termes de formation. Pour le 9 mois à un an il faut miser environ 30 à 35 millions. Cette formation ne se fait pas au Burkina Faso, la plupart de mes collègues et moi nous l’avons fait à l’extérieur notamment aux USA. Ça ne dure pas mais c’est coûteux. La formation dure environ 8 à 9 mois et maximum un an pour avoir la base et ensuite trouver une compagnie dans laquelle vous allez vous insérer avant de commencer à exercer le métier de pilote.
Pour revenir à la formation, elle commence avec le brevet de pilote privé qui s’obtient après 40heures de vol. Ce que vous faites pendant cette période c’est de vous familiariser avec l’avion : de savoir comment on vole ? Comment on roule au sol ? car on a des pédales pour diriger l’avion au sol. Comment on maintient une altitude sans trop varier le niveau où on est ? Comment on prépare sa descente ainsi que les calculs qu’on fait ? Tout cela concerne le brevet de pilote privé mais ça ne permet pas de voler dans les nuages. Vous prouver voler uniquement lorsque le ciel est clair avec ce brevet. Ensuite vous allez poursuivre vos études en faisant ce qu’on appel la qualification aux instruments. Elle permet de voler dans les nuages où la visibilité est nulle on ne voit pratiquement rien au dehors, on se fie juste à nos instruments de bord c’est pour cela on parle de qualification aux instruments. On regarde notre vitesse, notre altimètre, la vitesse verticale, le cap, l’horizon artificiel pour s’orienter en quelque sorte. Après cette qualification vous faite le brevet de pilote commercial qui s’obtient après 250 heures de vole. Une fois ces heures bouclées vous êtes aptes à voler dans une compagnie aérienne mais vous n’avez pas assez d’expériences. Maintenant chaque compagnie dispose d’un type d’avion. A Air Burkina par exemple nous avons ce que nous appelons les Embraer. Ce sont des avions de marque brésilienne. Alors chaque compagnie qui vous embauche est tenue de vous former sur le type d’avions qu’elle exploite. Vous allez en formation pour environ 1 mois pour vous familiariser avec l’avion et après vous revenez, la formation continue encore, c’est ce qu’on appelle l’adaptation en ligne qui peut durer 2 à 3 mois ou on vous met dans un avion réel et vous faites des vols avec des passagers. Vous faites toutes les routes de la compagnie et après satisfaction de l’instructeur, un examinateur vous fera un test en vol après cela vous serez lâché et si vous êtes lâché vous aurez vos galons et vous officier comme pilote de ligne maintenant.
Propos recueillis par Mireille Bailly