Au centre du Chili, une fièvre de l’avocat très gourmande en eau

0

[responsivevoice_button voice= »French Female » buttontext= »Ecouter l’article »]

Karina Torres a passé plus de sept ans sans eau courante dans sa maison du centre du Chili. Pourtant, en face de chez elle, des milliers d’hectares d’avocats poussent dans un véritable oasis, reflet d’une culture qui assoiffe la région.

Dans son village de Calle Larga, à 150 kilomètres au nord-ouest de la capitale Santiago, les pluies de l’an dernier ont apporté un soulagement inespéré.

Comme un miracle, l’eau a recommencé à sortir du robinet. Les habitants ont à nouveau pu se doucher et donner à boire aux quelques animaux ayant survécu à la longue sécheresse.

Derrière ce manque chronique d’eau, thème central du Forum international de l’eau réuni cette semaine à Brasilia, il y a sans doute l’effet du changement climatique. Mais les villageois accusent aussi les producteurs agricoles, surtout ceux d’avocats, d’avoir asséché leur province, Petorca, au climat traditionnellement subtropical.

Les plantations ancestrales de pommes de terre, tomates et arbres fruitiers ont été remplacées en grande majorité par des avocatiers pour répondre à une demande internationale en constante augmentation.

Dans la province de Petorca, la culture de cet « or vert », qui fait saliver tout autant les Français, les Américains que les Japonais, s’étale sur 16.000 hectares, contre moins de 2.000 dans les années 1990, selon Rodrigo Mundaca, porte-parole de Modatima, une organisation de défense de l’eau.

Mais l’avocat est très gourmand en eau: chaque hectare d’avocatiers requiert 100.000 litres par jour, « l’équivalent de la consommation de 1.000 personnes », selon M. Mundaca.

Le Chili est un grand producteur de ce fruit d’origine guatémaltèque, tout comme le Mexique et le Pérou. Selon les chiffres officiels, l’an dernier le pays a exporté 159.700 tonnes d’avocats, 32.000 de plus qu’en 2016, surtout vers l’Europe et les États-Unis.

Près du village de Calle Larga, plus une seule goutte ne coule dans les rivières Ligua et Petorca depuis 1997 et 2004, respectivement. Là où, d’antan, les habitants se baignaient, les merlans et les crevettes abondaient, désormais ce sont les déchets en plastique qui prolifèrent au fond du lit asséché.

« Ici il y a des enfants de 10 ans qui n’ont jamais vu une rivière! », s’exclame Rodrigo Mundaca.

– Eau privatisée –

Et sans eau dans les rivières, c’est tout un cycle naturel qui est perturbé: pas d’évaporation, pas de formation de nuages, pas de précipitations.

A Cabildo, l’un des principales communes de la province, l’eau que consomme ses 22.000 habitants est livrée par camions.

Au final, « nous dépensons les économies de la vallée », déplore Carolina Vilches, chargée de la gestion de l’eau dans la municipalité de Petorca, autre ville importante de la province.

Les producteurs d’avocats se défendent de pomper toute l’eau de la région: ces accusations « sont totalement fausses », assure à l’AFP l’une des principales entreprises du secteur, Cabilfrut.

En plein Forum de l’eau à Brasilia, le Chili est un bon exemple des tensions que génère le manque d’eau avec la particularité que celle-ci est privatisée dans le pays sud-américain depuis l’adoption en 1981 du Code des eaux, sous la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990).

Tout juste partie du pouvoir, Michelle Bachelet (2014-2018) a bien tenté de réformer cette loi pour renforcer la régulation par l’État, protéger les sources d’eau et rendre prioritaire l’usage humain: votée l’an dernier par les députés, la réforme attend encore le feu vert du Sénat.

« Personne n’est contre le fait que les agriculteurs aient des concessions d’eau, mais évidemment l’État doit avoir la faculté de donner priorité à certains usages », plaide Sara Larrain, directrice de l’ONG Chile Sustentable (Chili durable).

Car faute de rivières, dans la province de Petorca on creuse des puits, toujours plus profonds. Et chacun a appris à ne gaspiller aucune goutte: l’eau utilisée pour laver la vaisselle ou le linge est réutilisée pour l’arrosage des cultures ou pour se laver.

Certaines entreprises agricoles ont créé des étangs artificiels pour garantir l’arrosage des cultures, mais les exploitations familiales n’ont pas résisté, ni l’élevage, provoquant un exode de travailleurs, partis chercher de l’emploi ailleurs, surtout dans l’activité minière, florissante au Chili.

La requête de Karina Torres est pourtant simple: « Nous demandons de l’eau, et que l’on n’exploite pas nos rivières ».

LAISSER UN COMMENTAIRE

Veuillez laisser un commentaire
Veuillez entrer votre nom

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.