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On s’y attendait. Du moins, plus ou moins. Depuis que la majorité des avocats a déserté la salle d’audience le 30 mars dernier, des observateurs avaient déjà prédit qu’il risquait fort d’y avoir des déportations si les choses n’évoluaient pas sur leurs requêtes. Ils n’avaient pas tort. C’est ce qui s’est passé, à la dernière audience tenue le 6 avril dernier. Ce jour-là, 14 lettres de déports ont, en effet, été déposées auprès du président du tribunal.
Les choses ont commencé à se « corser », comme on aime à le dire, dans le procès du putsch manqué, avec cette « histoire » de citation des témoins. La majorité de ceux produits par l’accusation, des témoins à décharge, ont été récusés par le président du tribunal, Seydou Ouédraogo, faute de n’avoir pas été cités à comparaître. Mais avant, les débats ont été intenses. Chacune des parties, parquet militaire, défense et partie civile ont, trois jours d’audiences durant, longuement débattu sur le sujet. La question majeure était de savoir : « qui du procureur militaire et de la défense doit citer les témoins à décharge à comparaître ? ». Mais, selon les dispositions de l’article 105 du Code de justice militaire : « Les citations et notifications aux témoins, prévenus, inculpés, sont faites sans frais par la Gendarmerie ou par tous autres agents de la force publique ». Plus loin, toujours dans le même code, l’article 106, à son dernier alinéa, précise : « L’inculpé doit notifier également au procureur militaire, par simple déclaration au greffe, la liste des témoins qu’il désire faire entendre ». Se basant principalement sur ces dispositions, la défense a estimé qu’il appartenait au parquet militaire de faire citer les témoins à décharge. Mais, le ministère public et la partie civile ne l’entendent pas de cette oreille. Pour eux, la loi est claire et « notifier au procureur militaire, par simple déclaration au greffe, la liste des témoins qu’il (Ndlr : l’inculpé) désire faire entendre », ne veut pas dire qu’il appartient au parquet de faire citer les témoins de l’accusation. Tranchant sur la question, le président du tribunal est allé dans ce sens et a indiqué que selon ce que la loi dispose, il n’y avait aucune obligation pour le parquet de citer les témoins de la défense à comparaître. Après s’être concerté sur la question, les avocats de la défense ont demandé que l’audience soit suspendue pour 2 mois, afin de leur permettre de citer leurs témoins.
« Tous, nous sommes pour l’esprit et l’idée d’un procès équitable »
A cette requête, le président n’a pas accédé non plus, estimant que les débats ont déjà eu lieu, qu’une décision a été rendue et que la défense peut user des voies de recours si elle n’était pas satisfaite de cette décision. Mais, au lieu de cela, plusieurs avocats ont vidé la salle d’audience en faisant savoir qu’ils ne pouvaient pas défendre leurs clients dans ces conditions. C’était le 30 mars dernier. Le lendemain, 31 mars, contre toute attente, Me Halidou Ouédraogo et Me Issaka Zampaligré qui étaient de ceux de la défense à n’avoir pas quitté la salle, jettent l’éponge pour, selon le premier cité, « divergences » avec son client. Ce jour-là, l’audience s’est poursuivie et après lecture de l’arrêté de renvoi, elle a été suspendue pour rependre le 6 avril 2018. Dès la reprise, Seydou Ouédraogo fait savoir qu’il a reçu 14 autres lettres de déports produites par des avocats de la défense. Il s’agit du cabinet Somé et associé, la SCPA Légalis, le cabinet A.M Zongo, la SCPA Le Rocher (2 lettres de déports), la SCPA Sori Ouattara et Salambéré, Me Paul Taraoré, la SCPA Consilium, la SCPA Trust Way (3 lettres de déports), le cabinet Mamadou Traoré, Me Olivier Yelkouni et la SCPA Lex Aman. Motif relevé, selon certains avocats, c’est que les conditions d’un procès équitable ne sont pas réunies. « Tous, nous sommes pour l’esprit et l’idée d’un procès équitable », a fait noter le procureur militaire à qui le président avait donné la parole pour ses observations. Et, a-t-il ajouté, étant donné qu’il s’agit d’une affaire criminelle, la présence de l’avocat est obligatoire. « Le ministère requiert de votre juridiction de prononcer une suspension pour que le bâtonnier puisse constituer des avocats aux côtés de ceux qui n’en n’ont pas », a-t-il requis. En effet, a fait remarquer le président du tribunal, avec ces 14 lettres de déports, 12 accusés se sont retrouvés sans défense. Parmi eux, on peut retenir Mahamady Déka Dianda, Amadou Ly, Gbondjaté Dibloni, Ollo Stanislas Silvère Poda, Moussa Nébié dit Rambo, Nobila Sawadogo et Abdoul Kadri Dianda. Pour que ces derniers puissent être assistés par des conseils, le président du tribunal a donc décidé du renvoi du dossier, au 9 mai 2018.
Adama SIGUE
La réaction de la partie civile après l’annonce de la suspension de l’audience
Me Prosper Farama, avocat de la partie civile
« On s’y attendait d’une façon ou d’une autre. Cela entre en ligne droite avec la stratégie que la défense a adoptée depuis le début de ce procès. Mais, nous restons sereins car, dans tous les cas, nous sommes persuadés que le procès aura lieu et que nous irons au fond. A ce moment, on saura qui a fait quoi et celui qui devra prendre une sanction la prendra et ceux qui sont innocents seront innocentés. Aux avocats de la défense, nos confrères, tout le respect que nous avons pour leurs arguments, nous le leur devons en tant qu’avocats et nous leur demandons en retour qu’ils respectent aussi nos positions et nos arguments. Quand nous entendons des avocats qui ont perdu après avoir plaidé dire que c’est une atteinte à la légalité et à un procès équitable c’est, en somme, dire qu’à chaque fois qu’une juridiction rendra une décision qui sera contraire à vos positions, on sera donc dans le non droit. Des voies de recours sont autorisées et celui qui perd peut se référer à ces voies. »