[responsivevoice_button voice= »French Female » buttontext= »Ecouter l’article »]
« Laissez-nous manger en liberté ! » C’est le cri lancé par de nombreux citoyens et associations en Tunisie à la veille du Ramadan qui a débuté ce jeudi 17 mai. Comme chaque année, le débat sur la fermeture des cafés agite la société tunisienne et la classe politique. Déjà, dans les années 1960, le débat était lancé par Habib Bourguiba, buvant un jus d’orange à la télévision, en plein mois de Ramadan. Il appelait alors les citoyens à faire du travail une priorité et à se sentir libres de choisir de ne pas jeûner. L’image est restée gravée dans la mémoire collective et surtout chez les associations de défense de la liberté de conscience qui se réclament de cet héritage laïc. Mais si la Tunisie est l’un des rares pays arabes où des cafés ouvrent durant le mois saint, il reste difficile de manger en public.
Les associations face au gouvernement
Le débat revient chaque année, car le Ramadan est une période qui pose directement la question du respect des libertés, avec son lot de prédicateurs et de prêches diffusés en continu sur les chaînes arabes. Mais cette fois, le ministre de l’Intérieur a créé la surprise. Dans une lettre en réponse à la députée Hager Ben Cheikh Ahmed, il a indiqué que des restrictions sur l’ouverture des cafés seraient prises cette année par « peur du risque d’attentat ». Une décision qu’il justifie par une circulaire de 1981. « Étant donné que le jeûne pendant le Ramadan est l’un des cinq piliers de l’islam et un rite important pour la majorité des citoyens, par conséquent ouvrir les cafés et ne pas déterminer les conditions de leur ouverture pourraient être considérés comme provocateurs auprès de beaucoup d’entre eux », explique le ministre, en évoquant la possibilité d’agressions.
Il est important que la Tunisie reste un pays de tolérance », souligne la juriste Rahma Essid
La réponse a provoqué l’indignation de la députée Hager Ben Cheikh Ahmed qui l’a jugée « dangereuse », sur les ondes de Shems FM. Mais cette lettre a également provoqué la colère des internautes, et des associations. « Cette circulaire avait déjà été annulée trois jours seulement après sa parution par Bourguiba lui-même. Ben Ali l’avait réutilisée en 1987 sans jamais l’adopter d’un point de vue législatif », dénonce la juriste Rahma Essid, secrétaire générale de l’Association des libres penseurs, née en octobre 2017, mais active depuis des années.
« L’argument du ministre est caduque car cette circulaire est anticonstitutionnelle. Le problème, c’est l’interprétation large de la loi qui est faite. Or, l’article 6 de la Constitution stipule très précisément que l’État garantit les libertés individuelles, comme la liberté de conscience et de croyance. Or la Constitution est au-dessus de toutes les circulaires », analyse la juriste et militante qui a créé une pétition pour l’abolition de cette circulaire, ayant déjà recueilli 1500 signatures. Elle la portera ensuite au tribunal administratif pour annuler cette circulaire pour non-conformité à la Constitution de 2014. « Il est important que la Tunisie reste un pays de tolérance », défend-elle, tout en accusant « l’hypocrisie de la société sur cette question ».
Un constat défendu par une trentaine d’associations dont la Ligue tunisienne des droits de l’homme, rassemblées au sein du collectif pour les libertés individuelles. Mardi 15 mai, les ONG ont adressé une lettre au président Béji Caïd Essebsi pour appeler au maintien de l’ouverture des cafés pendant le Ramadan, et surtout à la protection des libertés individuelles et au respect de la Constitution.