C’est un véritable coup de semonce. En attaquant la Côte d’Ivoire et le Benin, les terroristes affichent clairement leurs ambitions. Étendre leurs tentacules jusqu’en Golfe de Guinée pour s’offrir davantage d’opportunités. La dynamique expansionniste est en marche. Les États concernés doivent entreprendre des actions énergiques. Toute inaction ou laxisme n’apportera que l’eau au moulin des groupes terroristes.
L’alerte avait été lancée début février. Bernard Emié, patron du renseignement extérieur français évoquait un « projet d’expansion » d’AQMI vers le golfe de Guinée, en particulier la Côte d’Ivoire et le Bénin. Aussitôt dit, aussitôt fait pourrait-on dire. En effet, dans la nuit du dimanche au lundi 29 mars, deux attaques visant des forces de défense dans le Nord ont eu lieu à intervalles très courts. La première attaque a été menée à Kafolo entre minuit et une heure du matin dans la nuit de dimanche à lundi. Selon l’armée, elle aurait été perpétrée par une soixantaine de terroristes lourdement armés. Presque simultanément, la deuxième attaque est survenue à Kolobougou, situé à 60 km au nord-ouest du département de Tehini faisant frontière avec le Burkina Faso. Un gendarme y a été tué.
Dans la nuit du 10 au 11 juin 2020, une attaque contre l’armée ivoirienne s’était produite à Kafolo, dans laquelle 14 soldats avaient été tués. Cette attaque n’avait pas été revendiquée. La Côte d’Ivoire avait été frappée une première fois par une attaque terroriste en mars 2016, dans la ville balnéaire de Grand-Bassam, près d’Abidjan. Des assaillants avaient ouvert le feu sur la plage et des hôtels, faisant 19 morts. outre l’attaque de Grand-Bassam en mars 2016, la nébuleuse terroriste avait enlevé des touristes français dans le nord du Bénin après avoir assassiné leur guide, en mai 2019. Du côté ivoirien, le doigt accusateur est pointé contre le prédicateur radical Amadou Koufa, chef de la katiba de Macina implanté dans le centre du Mali et appartenant au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), principale alliance du Sahel affiliée à Al-Qaïda. L’an dernier, il a appelé tous les « Peuls », et notamment ceux de Côte d’Ivoire, à rejoindre son groupe.
Le ver est dans le fruit…
Selon International Crisis Group, la contagion de la crise sahélienne au Burkina Faso représente un facteur potentiel de régionalisation de la violence car elle facilite considérablement la progression des groupes armés vers le sud côtier. Le Burkina occupe en effet une position géographique centrale en Afrique de l’Ouest. Partageant des frontières avec le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo, le pays fait la jonction entre le Sahel et le Golfe de Guinée. Sa relation avec ses quatre voisins méridionaux est aussi ancrée dans l’histoire, la démographie, l’économie et la politique. Le Burkina constituait un rempart, un verrou pour les pays du Golfe de Guinée. Mais les terroristes ont réussi à s’y implanter. Ils peuvent ainsi mieux se projeter vers le sud côtier et bénéficier, pour ce faire, de l’appui de réseaux humains, religieux, routiers, commerciaux et criminels très denses et établis de longue date. Les groupes armés terroristes trouvent par exemple dans les nombreuses mines d’or artisanales du Burkina une source de financement potentielle. Ces sites sont reliés aux pays côtiers, principale voie de commercialisation de leur production. Dans les sites aurifères, artisanaux ou industriels, des pays du Golfe de Guinée, ces groupes peuvent notamment se procurer des détonateurs pour leurs bombes artisanales. Il ne faut donc point se faire d’illusions.
Le ver est dans le fruit avec ces incessantes attaques terroristes. En réalité, les terroristes sont dans une logique d’extension et de conquête territoriale. Pour ces groupes, l’ouverture de nouveaux fronts méridionaux dans le Nord des pays côtiers offre bien des avantages. Prolongement du Sahel, ces zones frontalières ont d’abord un intérêt pratique, pouvant servir de base arrière pour le repos et la logistique. L’extension et la dispersion géographique des attaques permettent par ailleurs aux groupes terroristes de mettre les forces régionales et internationales à l’épreuve en les poussant à s’éparpiller. Cela s’inscrit dans la stratégie de déconcentration qu’ils ont adoptée en 2013, lorsque l’opération française Serval les a chassés des villes maliennes qu’ils occupaient. Ils ont depuis lors cherché à investir les espaces ruraux abandonnés par les États et fragilisés par les tensions locales, en particulier ceux situés dans les zones frontalières.
La poussée actuelle vers le Golfe de Guinée semble s’inscrire dans le prolongement de ce mouvement de dispersion de l’ennemi et de pression sur des espaces frontaliers fragiles. Une tendance générale se dessine depuis plusieurs années au niveau du Golfe de Guinée : le fossé se creuse entre les zones septentrionales et l’État central, tandis que le littoral, au Sud, tend à aimanter l’essentiel du développement et de la modernité économique. Ce phénomène est par exemple flagrant au Ghana. Environ un quart de la population de ce pays vit sous le seuil de pauvreté. Mais la pauvreté touche 70% de la population au Nord, en dépit d’efforts entrepris par l’État ghanéen. Selon la Banque mondiale, la situation est similaire en Côte d’Ivoire, où « le Nord et le Nord-Ouest du pays sont plus pauvres (plus de 60%) que le littoral et le Sud-Ouest (moins de 40% ».L’existence dans les pays du Golfe de Guinée de périphéries délaissées par l’État, à proximité immédiate d’une région sahélienne en crise, est particulièrement préoccupante. Au Sahel central, la rupture avec l’État a constitué un facteur déterminant dans le basculement de certaines régions périphériques dans la violence. A l’image de ce qui se passe de l’autre côté de la frontière, au Burkina, au Mali et au Niger, de nombreuses zones du Nord des pays du Golfe de Guinée connaissent aussi des problèmes d’accès aux ressources naturelles, générateurs de conflits entre agriculteurs et éleveurs, qui ont largement contribué à la montée des périls au centre du Mali et au Nord du Burkina Faso.
Repenser la stratégie de riposte régionale
Les attaques terroristes dans le nord de la Côte d’Ivoire sont un signal fort aux pays côtiers, qui doivent de plus en plus prendre au sérieux la menace. Le Togo, le Bénin, le Ghana, la Guinée, la Côte d’Ivoire, la Guinée Conakry doivent être vigilants et se préparer à une longue guerre en renforçant la coopération militaire au niveau de tous les pays de cette région. Mais la réponse militaire ne suffira pas à venir à bout de la menace terroriste. Du reste, faute d’englober l’Afrique de l’Ouest dans son ensemble, la force du G5 Sahel, qui réunit des troupes du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad, semble inadéquate pour répondre aux risques de contagion régionale de la violence terroriste. Le G5 Sahel s’est bâti sur le constat que celle-ci suivait une expansion horizontale, traversant le Sahel occidental d’est en ouest. La possibilité d’une expansion verticale de la crise n’a pas été assez prise en compte. Les différents pays doivent travailler sur des projets de lutte contre la radicalisation, contre les inégalités et les injustices sociales, pour impliquer les populations locales dans la gestion de cette crise.
Les États côtiers de l’Afrique de l’Ouest doivent également s’attaquer aux vulnérabilités qui permettent aux groupes terroristes de fonctionner. Des efforts sont nécessaires pour mieux contrôler les transferts de fonds entre les pays, renforcer le contrôle et la surveillance des frontières, améliorer la collecte et l’analyse de renseignements et s’assurer la collaboration des communautés vivant dans les zones frontalières. Le démantèlement des chaînes d’approvisionnement pourrait donner lieu à de nouvelles attaques. Les groupes extrémistes pourraient recourir à la violence pour protéger des cachettes et sécuriser les voies de ravitaillement en s’attaquant à des postes frontaliers, qu’ils considèrent comme des obstacles à leur approvisionnement en matériel. Ainsi, afin d’obtenir le soutien des communautés locales, les stratégies visant à déstabiliser les activités de ces groupes ne doivent pas se faire au détriment des moyens de subsistance des individus et des populations qui dépendent du commerce transfrontalier.
Jérémie Yisso BATIONO
Enseignant chercheur
Ouagadougou
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