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Avec Le Singe jaune, le dessinateur Barly Baruti et le scénariste Christophe Cassiau-Haurie se penchent sur l’histoire des enfants dits « mulâtres », à l’époque du Congo belge.
Derrière Le Singe jaune se cache l’histoire d’un mulâtre. Sur plus de 100 pages de cette bande dessinée au trait finement réaliste, le lecteur accompagne Anaclet Verschuren d’Uccle dans une quête identitaire au pays natal. Mais ce brillant traducteur métis du bureau de l’immigration de Bruxelles, qui n’a jamais connu son père, ne se doute de rien. Il croit, lui, effectuer un voyage de presse pour aider la célèbre journaliste belge Colette Braeckman – que dis-je, Paulette Blackman ! –, dépêchée sur un terrain difficile : la République démocratique du Congo de l’après-Mobutu.
L’intrigue proposée par le dessinateur Barly Baruti et le scénariste « spécialiste de la bande dessinée africaine » Christophe Cassiau-Haurie se situe en effet vers la fin des années 1990. La reportrice et son accompagnateur débarquent ainsi à Busingizi (« sommeil », en swahili), village imaginaire situé aux alentours du parc national de la Salonga, dans le centre-ouest du pays. Ambiance Maï-Maï.
Les kadogo, ces enfants-soldats
Des enfants-soldats drogués jouent aux miliciens invulnérables, se croyant dotés de pouvoirs mystiques. Ces kadogo contrôlent les mines et font régner leur loi sur des contrées entières. Ici, le temps s’est arrêté, l’État a disparu. Des arrangements politiques pour se partager le pouvoir n’ont servi que les intérêts égoïstes des protagonistes. Un tableau sombre qui fait sans conteste écho à l’actuelle situation sécuritaire explosive de la RD Congo. On y recense 132 groupes armés dans sa partie est, selon le dernier décompte du Groupe d’étude sur le Congo.
Et, comme à Busingizi, le contrôle des ressources naturelles et des matières premières n’est pas étranger au chaos qui y règne. Quoi qu’il en soit, la jeune journaliste Blackman et son traducteur Verschuren ne sont pas là pour ça. Ils sont venus enquêter sur la présumée découverte d’un « singe jaune à gorge rouge ».
Les « mulâtres », une menace pour le régime colonial
Problème : personne n’a jamais vu ce primate sorti tout droit de la tête d’un prétendu « expert en espèces rares en voie de disparition ». Tout le monde est tombé dans le panneau, le véreux Pieter Goovaerts ayant concocté son petit stratagème pour faire « diversion » et pouvoir rentrer incognito en Belgique avec un coffre plein de diamants. Lequel trésor a été caché à Busingizi à la veille de l’indépendance du pays par… le géniteur d’Anaclet Verschuren. Un colon qui a sans vergogne abandonné son fils, puisque né d’une mère noire, dans un « orphelinat pour mulâtres » du Congo belge…
Nous voilà donc projetés de plain-pied dans l’épineuse question de la ségrégation des métis à l’époque coloniale. Des enfants furent ainsi arrachés de force à leur mère et déracinés parce qu’ils étaient perçus comme une menace pour la pérennité du régime colonial. Le pays natal ne les a pourtant jamais oubliés. Anaclet y était même attendu comme le m’fumu, c’est‑à-dire le roi, à Busingizi. Une issue sans doute trop belle pour un sujet qui demeure sensible en RD Congo. Début septembre, un conseiller du président Joseph Kabila avait osé qualifier de « république des métis » un groupe d’opposants au régime. L’écart entre la BD et la vraie vie, sans doute…