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Le vote des Burkinabè de l’extérieur, pourtant inscrit dans le code électoral, n’a pour l’instant jamais été une réalité. Une première fois reporté en 2010, il l’a été une nouvelle fois sous la transition, en 2015. Aujourd’hui, la question revient de plus belle à la faveur d’un projet de loi controversé qui sera voté autour du 30 juillet et auquel Jeune Afrique a eu accès.
L’enjeu est de taille : il concerne la présidentielle de 2020. Au cœur de la polémique qui divise opposition et majorité : la nature des documents autorisés pour voter à l’étranger – carte nationale d’identité burkinabè (CNIB), passeport et carte consulaire – et les modalités de déroulement pratique du scrutin, essentiellement le nombre et l’emplacement des bureaux de vote hors du pays.
Le nouveau projet de loi consacre seulement le passeport et la CNIB comme les deux seules pièces requises pour le vote sur le territoire burkinabè et à l’étranger – exit la carte consulaire donc – et érige les ambassades et consulats généraux comme uniques lieux de scrutin hors du pays, précisant qu’ « en cas de nécessité, il peut être créé plusieurs bureaux de vote au sein de l’ambassade ou du consulat général ».
Les Burkinabè de Côte d’Ivoire au centre de l’attention
Les diverses concertations menées par le président Roch Marc Christian Kaboré, dont une dernière réunion avec le Chef de file de l’opposition, Zéphyrin Diabré, en date du 12 juillet dernier, n’ont pas débouché sur un consensus. En cause, des divergences teintées de rivalités politiques sur les deux modifications majeures, avec comme trame de fond la question du vote des Burkinabè de Côte d’Ivoire, qui représentent la diaspora la plus nombreuse avec environ 3,5 millions de personnes et plus de 1,74 million de potentiels électeurs, sur un total de Burkinabè à l’extérieur estimé à près de 7,5 millions de personnes, pour presque 2,6 millions de personnes en âge de voter.
ON PENSE QU’ON A PEUR DE LA CÔTE D’IVOIRE. CE QU’ON OUBLIE, C’EST QUE NOUS Y AVONS DES MILITANTS ET DES REPRÉSENTANTS
Ce territoire s’avère donc une manne électorale pour le pouvoir comme pour l’opposition, qui a reçu le renfort du Congrès pour la démocratie et le Progrès (CDP), parti de l’ex-président Blaise Compaoré. L’influence de l’ancien homme fort de Kossyam est d’ailleurs assez ancienne en Côte d’Ivoire, et elle semble même s’y être renforcée depuis son exil dans ce pays et sa récente désignation en tant que président d’honneur de son parti.
La majorité, avec à sa tête le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), parti du chef de l’État, atteste pourtant ne « rien craindre » et vouloir une modification du code électoral pour « garantir la sécurité et la sincérité des votes », affirme Yaya Karambiri, membre du bureau politique du parti présidentiel. « On pense qu’on a peur de la Côte d’Ivoire, s’exclame Lassina Ouattara, président du groupe parlementaire MPP. Ce qu’on oublie, c’est que nous avons également des militants et des représentants aussi sur le territoire ivoirien ».
Majorité et opposition à couteaux tirés
Le code électoral de 2015 désigne « la Carte nationale d’identité burkinabè (CNIB), la carte consulaire ou le passeport burkinabè » comme documents permettant de voter à l’étranger. La majorité présidentielle, avec à sa tête le MPP, souhaitait un vote uniquement avec la CNIB, louant sa fiabilité et estimant que « la majeure partie des Burkinabè de l’étranger, notamment en Côte d’ivoire, ne possède pas de passeport. Quant à la carte consulaire, elle ne justifie pas forcément la nationalité, car elle est délivrée sur la seule présentation d’extraits de naissance », assure Yaya Karambiri.
Un point de vue réfuté par l’opposition : « La carte consulaire est un document officiel délivré par l’État. La récuser, c’est faire preuve de mauvaise foi », estime Kirigahon Alphonse Nombré, vice-président du groupe parlementaire CDP. « Il n’y a pas de débat sur cette carte consulaire pour nous, renchérit Moussa Zerbo, député de l’Union pour le progrès et le changement (UPC). Les conditions d’obtention de la CNIB à l’extérieur sont difficiles. Notre inquiétude est que bon nombre de nos compatriotes ne puissent pas voter. »
Utiliser des écoles ivoiriennes pour aller voter ?
La seconde pomme de discorde concerne les lieux d’installation de bureaux électoraux à l’étranger. En effet, l’article 17 du code électoral de 2015 stipule que les élections hors du pays se tiennent « dans les ambassades et consulats généraux du Burkina Faso ou tout autre lieu en accord avec le pays hôte. » L’opposition voudrait que ce principe demeure, c’est à dire que l’on puisse ériger des bureaux de vote dans d’autres endroits que les ambassades et consulats afin d’éviter les longs déplacements. En Côte d’Ivoire, le Burkina Faso possède une ambassade et trois consulats généraux (Abidjan, Bouaké et Soubré), avec une majorité de Burkinabè vivant dans des villages reculés.
LES BURKINABÈ DE L’ÉTRANGER DOIVENT SE DONNER LES MOYENS D’ALLER VOTER, FUSTIGE ANSELME SOMÉ, DÉPUTÉ DU MPP
Un exemple qui conforte les opposants dans leurs démarches : « On demandera à nos compatriotes de rallier les lieux de vote à des centaines de kilomètres ? », interroge Moussa Zerbo. « Pour les élections au Mali par exemple, les écoles de la commune de Ouagadougou ont été réquisitionnées. Pourquoi ce ne serait pas le cas pour nous, en Côte d’Ivoire ? », se plaint Alphonse Nombré.
La majorité ne voit pourtant pas le problème du même œil, pointant du doigt les coûts et difficultés d’organisation sur place. « Je crois que les Burkinabè de l’étranger doivent se donner les moyens d’aller voter, estime Anselme Somé, député du MPP. Pour un début, on peut s’entendre sur ce principe afin de minimiser les dépenses. »
Le vote des Burkinabè de l’extérieur était pourtant une promesse de campagne de Roch Marc Christian Kaboré, qui a dirigé les négociations sur la modification du code électoral avec les différents protagonistes. Le projet de loi, tel que porté par le gouvernement et soutenu par la majorité au pouvoir, a de fortes chances d’être adopté. Mais l’opposition affirme ne pas perdre espoir : « Nous ne pouvons pas empêcher le vote du texte car nous ne sommes pas majoritaires au Parlement, explique le député Moussa Zerbo. Mais si la loi passe, nous aviserons. »
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