Lorsque leurs intérêts ou de fortes sommes d’argent sont en jeu, les magistrats burkinabè savent faire preuve d’une extraordinaire célérité ! C’est ainsi qu’ils ont attrait l’Etat burkinabè en justice pour exiger la cessation des retenues sur salaires pour fait de grève. C’est un bien mauvais procès.
Si les magistrats ont été purement et simplement déboutés dans certains tribunaux, ils se sont livrés à un spectacle pour le moins burlesque dans d’autres comme ce fut le cas le 17 avril dernier au tribunal administratif de Ouagadougou où le juge qui a tranché l’affaire était lui-même concerné ; son salaire ayant subi une retenue. Vous avez dit impartialité et bonne administration de la justice ? Ce comportement n’honore guère les magistrats quand on sait qu’ils sont les chouchous de la République avec les faramineux émoluments qui leurs sont servis chaque mois.
Arrachée de haute lutte, l’indépendance de la justice doit contribuer à une gouvernance vertueuse dans notre pays. Les magistrats doivent être les premiers à en donner l’exemple. Cette indépendance ne doit pas servir d’épouvantail que certains peuvent brandir à tout bout de champs pour se remplir les poches en ignorant royalement la misère de la majorité des Burkinabè.
En matière de traitement salarial, la loi est claire. Tout salaire est fondé sur le principe du service fait. Il y a exception en cas d’autorisation d’absence ou de congés. En dehors de ces cas, l’agent public dont le magistrat, n’a droit à une rémunération que lorsqu’il y a la preuve de service fait. La grève étant une cessation du service, cette base est suffisante pour opérer des retenues sur le salaire d’un agent en grève.
Pour les retenues, les seuils sont régis par le décret n°2008-741 / PRES / PM / MTSS / MEF / MFPRE / MJ / DEF du 17 novembre 2008 portant cessions, saisies et retenues sur les rémunérations et pensions de retraite des agents publics de l’Etat, des magistrats, des militaires et des travailleurs salariés du secteur privé. L’article 3 précise que les rémunérations et pensions sont saisissables suivant certaines proportions : du SMIG à 75 000 (33,33%), 75 001 à 100 000 (40%), 100 001 à 200 00 (45%), 200 001 à 300 000 (50%). Au-delà de 300 000 F (55%).
Les magistrats ayant tous un salaire qui va au-delà de 300 000F, le seuil légal est donc de 55%. Chez certains travailleurs, ce principe a été appliqué. Pourquoi ne le serait-il pas au niveau des magistrats ? Tout simplement parce qu’ils ont la force du droit avec eux ? Tous les citoyens naissant libres et égaux en droit et en dignité, la loi doit s’appliquer à tous sans discrimination. Les magistrats sont des privilégiés ayant obtenu des avantages sans commune mesure. Ils ne doivent pas verser dans la surenchère ou pousser des cris d’orfraie quand on veut leur appliquer la rigueur de la loi.
La démocratie et la bonne gouvernance supposent une juste répartition des fruits de la croissance. Après toutes les affres que le Burkina Faso a connues depuis l’insurrection, il ne peut pas se retrouver sous la dictature des hommes en robes. L’opinion a du mal à comprendre pourquoi les magistrats sont si alertes lorsqu’il s’agit de leurs intérêts alors que, paradoxalement, de nombreux dossiers emblématiques continuent à dormir dans les tiroirs de la justice. Il faut un véritable aggiornamento au niveau de la justice pour redorer l’image de ses animateurs. Profiter de la faiblesse de l’Etat pour s’octroyer des faveurs est moralement condamnable.
Dans le Burkina Faso nouveau à construire, chaque citoyen doit accepter consentir des sacrifices car le pays est confronté à de multiples défis. En creusant davantage le fossé entre « privilégiés » et « damnés », nous contribuons consciemment ou inconsciemment à réunir les conditions d’une déflagration sociale. Après le printemps des juges acquis, l’ère des juges repus ?
Jérémie Yisso BATIONO
Enseignant chercheur
Ouagadougou
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