Le Conseil de défense qui a eu lieu le samedi 23 mai dernier marque-t-il un tournant décisif dans la lutte contre le terrorisme au pays des hommes intègres ?
En effet, plusieurs médias ont noté, puis rapporté cette intervention particulière du président du Faso articulée autour de deux idées forces. Dans la lutte contre le terrorisme dira-t-il, nous devons éviter toute forme de stigmatisation et de repli identitaire. Sur le cas spécifique des événements se Tanwalbougou, on retiendra que les responsabilités seront situées et que personne ne devra bénéficier d’une quelconque impunité.
Sur Rfi, ce matin du 25 mai, le responsable du collectif contre la stigmatisation, Daouda Diallo, habituellement très critique contre la stratégie de lutte contre le terrorisme du gouvernement burkinabè s’est dit satisfait de cette prise de position non équivoque du président. Monsieur Diallo ira très loin dans son propos en affirmant que le président n’a aucun intérêt à s’encombrer de criminels qui sous le couvert de la lutte contre le terrorisme voudrait ensanglanter son mandat. Cependant, le collectif attend que la parole se transforme en acte.
Le président devrait se réjouir d’une telle interpellation, lui qui est tant soucieux du respect des principes de l’Etat de droit. Que gagnerait-il à vouloir protéger des actes barbares indignes de l’action de forces de sécurité et de défense républicaine ?
La lutte contre le terrorisme on doit le reconnaître est une opération complexe distincte des guerres classiques. Voilà pourquoi dans tous les pays du monde cette lutte engendre toujours des bavures. On a encore en souvenance les images de soldats américains, auteurs d’actes de tortures d’une extrême violence sur des présumés terroristes dans diverses parties du monde ( Afghanistan, Irak, Somalie…). Le monde continue de s’offusquer des traitements dégradants et humiliants subis par les prisonniers de la célébré île de Guantanamo. C’est du reste pour éviter de répondre de ce type de faits graves devant les juridictions internationales que les États-Unis ont refusé d’adhérer au statut de la Cour pénale internationale.
Conscient que la lutte contre le terrorisme ne peut se mener véritablement dans le respect des règles du droit international humanitaire, les Etats unis ont ainsi voulu soustraire leurs soldats de la justice pénale internationale. Sans leur dénier le droit de formuler des observations sur les excès résultant de la lutte contre le terrorisme dans les autres pays, les autorités américaines devraient le faire avec beaucoup de modestie. Sont-ils encore légitimes à donner des leçons dans cette matière ?
Dans le cas particulier du Burkina, la lutte contre le terrorisme est difficile et très complexe. Sommes-nous en présence d’attaques terroristes, de faits de grande criminalité ou encore de faits de tentative de déstabilisation d’un régime que certains se sont jurés de faire échouer par tous les moyens ? A priori, l’analyse situationnelle devrait prendre en compte toutes ces trois hypothèses.
Face à la complexité de la situation, les réponses militaires doivent prendre en compte plusieurs paramètres parmi lesquels la nécessité d’éviter toutes les formes d’excès susceptibles de fragiliser la cohésion sociale et le vivre ensemble. Alors que nous sommes en train de vouloir construire un État-nation, il est impératif d’éradiquer ici et maintenant toutes les formes de stigmatisation. Qui mieux que le président du Faso garant de l’unité nationale pour interpeller la conscience individuelle et collective sur un tel sujet ?
Aucune nationalité sur notre territoire ne devrait avoir le sentiment d’être assimilé à un quelconque groupe terroriste. Il s’agit là d’un impératif catégorique non négociable. Si nous venons à ruser avec cela, il conviendrait alors d’abandonner le défi de la construction de l’État-nation. Que des individus issus d’une nationalité se comportent comme des terroristes, on ne peut en conclure pour autant que c’est la nationalité qui est complice du terrorisme. Surtout que les terroristes se recrutent au sein de toutes les nationalités et ils font des victimes au sein de toutes les communautés.
Tout comme la stigmatisation, le repli identitaire doit être combattu par tous les moyens. Le repli identitaire est tout aussi dangereux, pernicieux que la stigmatisation. En effet, le repli identitaire place les personnes qui en usent dans une situation de victimisation et les isole du reste de la collectivité. Il nous oblige à développer une forme de solidarité contreproductive. Il nous empêche d’apprécier objectivement les tares au sein de notre communauté et rend difficile notre intégration dans une communauté nationale.
Toutes les communautés sans exception souffrent de certaines tares dont il faudra tôt ou tard se départir. Au nom du repli identitaire, les défauts les plus abjects sont souvent excusés, voire justifiés. Les hommes politiques en manque de projet véritable peuvent être tentés d’exploiter le repli identitaire en profitant de l’état de fragilité des populations placées dans cette situation. Mais l’histoire enseigne que le repli identitaire n’a jamais été un projet porteur. Aujourd’hui plus d’hier, dans un monde globalisé, le repli identitaire est un projet de vie absurde.
Il faut se le dire pour de bon, les terroristes n’ont pas de nationalité. En posant des actes barbares, ils ont renoncé à leur droit de vivre en paix avec leur frère au sein de la société. Dans ce sens, Ils doivent être recherchés, dénoncés et traqués par tous dans la société. En un mot comme en plusieurs cette brève intervention du président du Faso peut s’analyser comme un vaste programme politique. Il faut le comprendre au-delà de la situation conjoncturelle de la lutte contre le terrorisme et l’envisager comme un vaste programme du vivre ensemble. L’avenir du Burkina de demain doit se construire autour de la lutte contre la stigmatisation et le repli identitaire.
Dembélé Yacouba
Consultant en communication politique