Dans son numéro 941 paru le Lundi 11 Septembre 2017, le journal burkinabé Bendré révélait les résultats de 55 écoles ayant fait 0% à l’examen du Certificat d’Etudes Primaires (CEP), session de 2017, dans la région du Sahel. Le journaliste auteur de l’article dissimulait difficilement sa surprise que de tels résultats soient méconnus du grand public alors qu’ailleurs, précisément au Kénédougou, les résultats d’une seule école révélés au burkinabé, en l’occurrence l’école Mahon ’’B’’, avaient fait l’objet d’un grand tapage médiatique. Les réseaux sociaux et des organes de presse écrite et audio-visuelle avaient largement relayé l’information relative au 0% de cette école Mahon’’B’’ dans la province du Kénédougou. Récemment, la télévision Nationale du Burkina (tnb), dans son édition de 20h le mardi 03 octobre 2017, présentait des images de la rentrée scolaire 2017/2018 à l’école Mahon ‘‘B’’.
Il y a 55 Mahon ‘‘B’’ dans la région du sahel, même si les Mahon ‘‘B’’ du sahel ne suscitent pas de façon étonnante pour l’instant le même intérêt même pour les médias, publics comme privés. Nous osons croire que ce silence ‘‘national’’ sur ces résultats n’est pas une preuve d’une certaine indifférence partagée sur la question de l’éducation au sahel. Il faut reconnaitre que la Directrice en charge de l’éducation dans la région, n’a pas dissimulé ces résultats. Elle les a rendu accessibles en les partageant avec ses collaborateurs au moins à deux reprises. De plus, elle a accordé une interview sur le sujet au journal Bendré dans sa parution du 11 Septembre 2017. C’est une preuve d’ouverture d’esprit et de sa volonté d’interroger l’école dans la région. Elle s’est assumée et mérite des félicitations même si par ailleurs elle aurait dû révéler au journal que dans la même région, il y a beaucoup d’écoles qui ont fait 100 % au même examen, dans toutes les provinces. Mais enfin, ça, c’est une autre histoire.
Ces résultats des 55 écoles à l’examen du CEP en 2017 dans le sahel burkinabé méritent que l’on interroge notre système éducatif aussi bien dans la région qu’à l’échelle nationale. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette contre-performance ? Pour certains, les communautés dans la région n’aiment pas l’école. Elles sont réticentes à envoyer leurs enfants à l’école pour des raisons religieuses ou parce que pasteurs, elles privilégieraient l’élevage de leurs animaux au détriment de l’instruction de leurs progénitures. Pour d’autres, le terrorisme est la cause principale qui explique ces résultats. Ces arguments sont faciles. Ils relèvent de ce qu’on appelle le ‘‘bouche à oreille’’. Ils font sourire plus d’un sahélien et pourraient à terme heurter les fils de la région qui finiront par prendre la parole tôt ou tard sur ces allégations. Ils trahissent une profonde ignorance des réalités ethniques, culturelles et économiques du sahel, surtout de la part de ceux qui y sont en poste et qui les soutiennent. Ils trahissent aussi une inadmissible ignorance du ‘‘comportement’’ de l’école dans la région. Le sahel est une région cosmopolite. Selon le plan régional d’aménagement du territoire du sahel 1998-2025 (rapport final) qui cite une étude réalisée en 1991, le groupe foulbè, composé des peulhs Djelgobè, des peulhs Gaobè, Rimaïbè ainsi que les classes sociales des peulhs forgerons et des peulhs marabouts, représente 44% de la population du sahel. Le groupe Touareg, concentré dans la province de l’Oudalan et composé des Touaregs, des Bellas, des Maures et des Hawanabè, rassemble 7,1% de la population de la région. Le groupe Mossi représente 10,1%, le groupe foulcé 10,6% et le groupe songhoï 10,3%. En plus de ces groupes ethniques, il y a des gourmatchés (dans les provinces du Séno et du Yagha où ils sont le 2ème groupe ethnique), des dogons (dominent la commune de Diguel dans le Soum), des haoussas, des Djerma, des Bissas (commune de Bani dans le Séno). Dans leur écrasante majorité, les populations de tous ces groupes ethniques sont des sédentaires et des agro-pasteurs. La considération de l’islam et de l’élevage comme facteurs majeurs entravant la scolarisation dans la région est donc un vieil argument qu’il faille nécessairement interroger pour se le départir. Il ne tient plus la route. Il est loin d’être pertinent et empêche de rechercher les raisons profondes des entraves à la scolarisation dans la région. L’image du sahélien nomade, toujours derrière son troupeau, sans domicile fixe, constamment à la recherche du meilleur pâturage pour ses animaux n’est qu’un stéréotype. Elle est loin des réalités, très loin des réalités actuelles du terrain et doit être déconstruite. Les communautés (dogon, peulh, mossi, gourmatché, touareg, bella, foulcé, songhoï…) sont toutes sédentaires dans la région et les cas résiduels de nomadisme ne doivent en aucun cas être considérés comme norme de nos jours. Aussi, s’il est vrai que la région est à plus de 90% musulmane et que tous les groupes ethniques sont liés à l’islam, l’impact négatif des foyers coraniques ou de l’islam tout court, sur la scolarisation, ne résiste pas à l’analyse. En tout cas, à notre connaissance, cette corrélation n’est pas confirmée pour l’instant par une étude quelconque et la réalité ne la laisse pas transparaître. Il y a des villages entiers qui n’ont pas un seul foyer coranique. Les autorités aussi bien au niveau local que national se braquent très souvent sur ces deux facteurs, toute chose qui empêche de rechercher les causes profondes et réelles de la non adhésion supposée des communautés à l’école dans la région. En tout état de cause, si l’islam et l’élevage étaient les causes principales des problèmes de développement de l’éducation scolaire au sahel, on n’enregistrerait pas des effectifs importants presque de tout temps dans bien de localités de la région. Si l’islam était une cause de la sous-scolarisation au sahel, le même phénomène serait perceptible dans toutes les régions du Burkina Faso, en ville comme en campagne. Les communautés au sahel ne rejettent donc pas le savoir. Si l’on veut le leur offrir vraiment. D’où vient alors le problème ?
Il est peut-être tôt d’incriminer la fusion de plusieurs ordres d’enseignement pour en faire un seul ministère en charge de l’éducation. Il y a moins de deux ans que cette option est en essai. Ce qui est évident, l’organigramme actuel du Ministère de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation (MENA) ne favorise pas une réelle articulation des structures centrales et déconcentrées, une véritable articulation des acteurs et des compétences parce qu’il y a un mélange de genres qui ne permet pas aux acteurs en particulier ceux du niveau central de s’occuper seulement du domaine pour lequel chacun est formé et dans lequel il a des compétences. Cela ne favorise certainement pas le fonctionnement et la coordination des activités et pourrait être insidieux à court, moyen et long terme sur l’effectivité des enseignements et sur leur qualité. La fusion du préscolaire, du primaire, du post-primaire et du secondaire pour former le grand MENA actuel ne modifie pas les domaines de compétence des acteurs ni en matière de formation et d’encadrement des personnels, ni dans l’animation des unités administratives du ministère à tous les niveaux. Le fait qu’un mécanicien, un menuisier et un maçon passent la nuit ensemble dans une même maison, ne fera pas qu’à leur réveil le matin, le mécanicien devienne maçon ou que le maçon devienne menuisier, ou que le menuisier devienne à la fois maçon et mécanicien tout en demeurant menuisier. On ne force pas une camisole au risque de manquer une occasion de s’habiller. Fort heureusement, cela peut très vite être corrigé par la relecture de l’organigramme actuel ou par le retour aux ordres d’enseignement d’avant la fusion des ministères. D’où vient finalement le problème de notre école dont on ne cesse de déplorer la qualité des résultats et des produits?
Qu’on le veuille ou pas, il y a un problème dans notre système éducatif. Et il n’est pas forcément nouveau. Nos doutes légitimes et collectifs sur notre système scolaire tirent, de notre point de vue, leurs sources de plusieurs réalités. En particulier, nous pensons à l’inadaptation de notre école (nous ne traiterons pas de ce sujet pour l’instant), à l’absence d’approches pertinentes de formation continue et donc à la qualité des personnels et des conditions de vie et de travail de ces personnels. Il est important de rappeler que de nombreuses études s’accordent à reconnaître que l’amélioration de la qualité des enseignements/apprentissages dans les classes, tient à trois principes fondamentaux dont le premier est lié au recrutement d’enseignants de haut niveau, à qui il convient d’offrir une formation initiale de haute qualité et un développement professionnel continu tout au long de leur carrière. Les outils de qualité pour l’enseignement et l’apprentissage (programmes adaptés, ressources et matériels) et l’environnement pédagogique de qualité sont les deux autres principes à observer. Notre système éducatif respecte-t-il ces trois principes ? En tout cas, il n’y a que dans l’enseignement presque que l’on peut voir les acteurs vivre et travailler sous des abris précaires, parfois sans un minimum pour répondre aux exigences de leur métier. Peu d’écoles et de salles de classes sont suffisamment dotées ou équipées en mobilier, en manuels solaires, en matériel didactique. Il y a par exemple des écoles à six (6) classes qui disposent d’une seule règle pour toutes les classes ou qui manquent de compas. Aussi, l’administration, au sein de chaque école se résume au Directeur d’école, lui-même en général chargé de cours. L’encadrement pédagogique est sclérosé, dépouillé de toute autorité, réduit à sa simple expression faute de moyens de toutes natures, aussi bien au primaire qu’au secondaire, pour animer le système conformément à ses missions. La démotivation des acteurs est profonde et croissante. L’enseignant, du primaire comme du secondaire, est devenu le cousin de tout le monde parce que toujours en difficultés, joignant difficilement les deux bouts, parent pauvre d’une fonction publique qui peine à résoudre ses problèmes les plus élémentaires (corrections d’indemnités, avancement, reclassement, reversement…). Il faut l’admettre, les enseignants et les encadreurs pédagogiques du primaire comme ceux du secondaire dans notre pays ont, à tort ou à raison, le sentiment d’être mal traités au point qu’ils ont fini par se convaincre qu’ils sont maltraités par leur propre administration. Il y a un profond malaise au sein des acteurs de notre système éducatif ; lequel malaise ne peut qu’être préjudiciable aux apprentissages. Ce mal être des acteurs en particulier des enseignants, impacte négativement leur conduite au travail. Or, il est clair que pour les communautés, le rapport que les acteurs surtout les enseignants entretiennent avec leur métier conditionne tout engouement et toute adhésion au système scolaire.
En effet, les populations n’ignorent pas l’importance de l’école, en zone urbaine comme en zone rurale dans toutes les régions du pays, y compris au sahel, surtout au sahel où les communautés sont victimes plus que nulle part ailleurs dans le pays des abus de certains produits de cette même école. De même, les enfants au sahel en particulier et au Burkina Faso en général, ne sont pas moins intelligents que ceux d’ailleurs. Cependant, pour que les élèves apprennent et réussissent, pour que l’école les rassure et rassure leurs parents, il est utile que les enseignants entretiennent un rapport déterminant avec leur métier, quelles que soient les difficultés qu’ils rencontrent. Ce qui, de nos jours, ne s’observe pas chez beaucoup d’enseignants à travers le Burkina Faso. Nous avons encore en mémoire, ce que deux de nos élèves nous ont dit de retour de leur stage pratique dans la Boucle du Mouhoun en 2014. Leurs propos nous reviennent depuis ce temps chaque jour et sont porteurs d’un message d’une extrême gravité. Précisément, ils nous ont dit ceci : « monsieur, si nous avions eu des maîtres comme ceux que nous avons vu durant le stage, nous ne pourrions jamais devenir des enseignants. Si on ne fait rien, ce sera grave pour notre pays.» Nous étions très fier d’eux parce que de notre point de vue, ils avaient fait un excellent stage. Ils ont intériorisé la mission de l’éducateur : faire des autres des hommes. En même temps, ils ont perçu l’un des plus gros problèmes de notre système éducatif : l’engagement des enseignants. De plus en plus, ce n’est un secret pour personne, le temps réel consacré aux enseignements/apprentissages est fortement réduit pour nos enfants. Et les enseignants (ils ne sont pas certes seuls responsables il est vrai) ont une grande responsabilité dans cet état de fait. Ils sont de plus en plus nombreux qui ne respectent pas le calendrier scolaire, qui partent à l’école bien après 7 h 30 pour revenir avant midi en ville et ne plus retourner en classe le soir, qui passent le temps à manipuler leur téléphone portable en classe au lieu de s’occuper des élèves. Ils sont nombreux qui ne préparent pas leurs cours, qui n’exercent pas leurs élèves. On en trouve qui, jusqu’au mois de janvier, n’ont jamais préparé un seul cours et n’ont pas soumis plus de quatre devoirs à leurs élèves. Il y a trop d’attitudes qui rebutent les élèves et leurs parents. Dans ces conditions, un élève peut faire six (6) années à l’école et être incapable d’écrire même son propre nom. Peut-on soutenir que c’est parce que ses parents n’aiment pas l’école qu’il aura échoué ? Quel parent peut continuer à avoir confiance en une école animée par des enseignants absentéistes, retardataires, qui passent le temps assis devant les élèves, préoccupés par leur téléphone portable et répétant sans cesse ‘‘ silence’’ à l’endroit des élèves ? Quel espoir un élève et son parent peuvent nourrir avec un enseignant qui semble ignorer la portée de sa mission et qui est convaincu d’avoir raté sa vie en exerçant le noble métier d’éducateur ? Quel résultat peut enregistrer une classe dans laquelle la présence du maître est un évènement ? Quel élève peut avoir l’envie d’aller dans une classe rien que pour jouer parce que son enseignant (e) est comme un fantôme ? Quel élève, quel parent d’élève peut nourrir un quelconque espoir avec un enseignant qui ne reprend pas les cours après la récréation ? On n’a pas besoin d’être de confession chrétienne pour se demander ce que peut attendre une nation d’un enseignant qui a choisi d’ignorer, sinon qui s’en-fout point barre de ce qu’a dit l’apôtre Paul dans 2 Thessaloniciens 3 : « …si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » ?
Tout le monde sait que la conscience professionnelle est la chose la moins partagée de nos jours dans le milieu enseignant, comme malheureusement du reste, dans les autres corps de la fonction publique. Toutefois, remercions Dieu parce qu’il en reste encore dans nos écoles qui sont véritablement consciencieux, qui donnent le meilleur d’eux-mêmes, qui sont convaincus que leur bonheur dépend de l’amour qu’ils entretiennent avec leur métier, qui repoussent les limites de l’impossible pour compenser l’insuffisance du soutien de leur administration et des parents d’élèves. Qui savent que malgré le traitement que leur réserve le destin parce qu’ils sont enseignants, le Burkina Faso n’aura pas d’avenir sans eux. Le débat est ouvert. Bonne rentrée à toutes et à tous. Puisse Dieu qui sait plus que n’importe qui, ce qui est, ce qui sera et ce qu’il faut, sauver notre école d’un naufrage chaque jour plus que certain. Et sauver ainsi notre pays dont le destin est plus que jamais intimement lié à l’école.
BOUBACAR Elhadji
Inspecteur de l’Enseignement du 1er Degré à Dori
Contacts : 70 10 05 50/78 64 08 70
Mail : boubacar.elhadji@yahoo.fr