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Cet article est co-signé par Sarah Wolff, Aziz Hlaoua, anthropologue à l’Institut universitaire de la recherche scientifique (Rabat, Maroc) et Laurent Fontaine Czaczkes, réalisateur et cameraman.
Tribune. Depuis le démantèlement de la « jungle » en octobre 2016 et le retour des migrants et réfugiés à Calais, les associations caritatives calaisiennes ont pallié au manque de l’État. Celui-ci, débouté par le Conseil d’État, s’est vu rappeler ses obligations et a décidé d’assurer la distribution des repas. Depuis le 6 mars, celle-ci a lieu sur deux terrains vagues, à l’extérieur de Calais.
Une bonne nouvelle, me direz-vous ? Pour beaucoup d’associations et d’exilés, cette soupe a pourtant un goût amer. Comment comprendre une politique qui, d’un côté, leur distribue à manger, et de l’autre, continue de décourager leur installation en confisquant leurs biens de première nécessité ?
Depuis le début du mois, beaucoup de migrants et de réfugiés continuent de boycotter la distribution. Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, les points de distribution, passés de cinq à deux, sont situés en périphérie de Calais, obligeant les migrants à traverser la ville à pied sur plusieurs kilomètres. Limitant les repas à un petit-déjeuner et un déjeuner-dîner par jour, à horaires fixes (entre 9h et 11h, puis entre 15h et 18h), il vaut mieux ne pas manquer le coche.
Ensuite, c’est le principe de la portion individuelle : un migrant, un plateau-repas. Celui qui se déplace ne peut pas prendre de nourriture pour ses compagnons parfois malades, blessés ou simplement trop épuisés pour venir à la distribution. Par ailleurs, en l’absence de véritable lieu d’échange et de partage du repas, malgré les préaux démontables (mais sans tables ni chaises), ces distributions privent les migrants de tout lien social et les ostracisent. Là où les associations en profitait pour dialoguer avec les exilés, les food-truck de Macron distribuent les plateaux-repas, sous la surveillance des forces de l’ordre. Les migrants et réfugiés ont du mal à digérer cette présence peu rassurante, si on considère que ce sont ces mêmes forces de l’ordre qui viennent régulièrement démanteler leur campements de fortune.
Les autorités semblent encore ignorer la spécificité que requiert le traitement de ces exilés
Ne pas prendre en compte ces problèmes, mais surtout ne pas les avoir anticipés, démontre à quel point les autorités semblent encore ignorer la spécificité que requiert le traitement de ces exilés. Migrants économiques, ou réfugiés politiques pour certains, ces jeunes hommes et femmes que nous avons rencontré sur le terrain à Calais sont souvent originaires de la Corne de l’Afrique ou d’Afghanistan. Ils ont échappé à des régimes politiques où il est difficile d’accorder sa confiance à l’État et à la police, et ont été souvent victimes de maltraitances policières au cours de leurs voyages. Déboutés de leurs demandes d’asile, ils sont, comme nous l’a expliqué avec lassitude un migrant érythréen, « dublinisés ». Une maladie « incurable », qui les empêche de pouvoir choisir leur pays d’accueil.
Leurs empreintes fichées dans la base de données Eurodac, à leur entrée en Italie ou en Grèce, l’asile en France est impossible. Le règlement de Dublin préconise en effet un retour des migrants irréguliers vers le pays européen par lequel ils sont entrés pour y demander l’asile. C’est une double peine. N’ayant aucune chance de voir leur candidature étudiée en France, ne voulant pas vivre en Italie ou en Grèce où ils risquent d’être renvoyés, et où leur demande d’asile peut également être rejetée, les exilés espèrent traverser la Manche. En Grande-Bretagne, pourtant également signataire de Dublin, les exilés auront une chance de rejoindre leur famille ou leurs amis, et peuvent espérer y trouver un travail, car les contrôles d’identité y sont moins fréquents.
Pour le moment, force est de constater que ces repas takeaway ne pallieront pas encore les déficiences de l’État et de l’Europe quant à leurs responsabilités envers ces exilés. Sans crédulité, ni parti-pris, la démarche ethnographique que nous cherchons à effectuer auprès des migrants et des acteurs associatifs sur le terrain calaisien, nous a montré, après seulement quelques jours de présence, à quel point les politiques migratoires et d’asile actuelles sont aussi déraisonnables qu’imprudentes. La soupe de Macron a bien du mal à passer.
Tribune. Depuis le démantèlement de la « jungle » en octobre 2016 et le retour des migrants et réfugiés à Calais, les associations caritatives calaisiennes ont pallié au manque de l’État. Celui-ci, débouté par le Conseil d’État, s’est vu rappeler ses obligations et a décidé d’assurer la distribution des repas. Depuis le 6 mars, celle-ci a lieu sur deux terrains vagues, à l’extérieur de Calais.
Une bonne nouvelle, me direz-vous ? Pour beaucoup d’associations et d’exilés, cette soupe a pourtant un goût amer. Comment comprendre une politique qui, d’un côté, leur distribue à manger, et de l’autre, continue de décourager leur installation en confisquant leurs biens de première nécessité ?
Depuis le début du mois, beaucoup de migrants et de réfugiés continuent de boycotter la distribution. Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, les points de distribution, passés de cinq à deux, sont situés en périphérie de Calais, obligeant les migrants à traverser la ville à pied sur plusieurs kilomètres. Limitant les repas à un petit-déjeuner et un déjeuner-dîner par jour, à horaires fixes (entre 9h et 11h, puis entre 15h et 18h), il vaut mieux ne pas manquer le coche.
Ensuite, c’est le principe de la portion individuelle : un migrant, un plateau-repas. Celui qui se déplace ne peut pas prendre de nourriture pour ses compagnons parfois malades, blessés ou simplement trop épuisés pour venir à la distribution. Par ailleurs, en l’absence de véritable lieu d’échange et de partage du repas, malgré les préaux démontables (mais sans tables ni chaises), ces distributions privent les migrants de tout lien social et les ostracisent. Là où les associations en profitait pour dialoguer avec les exilés, les food-truck de Macron distribuent les plateaux-repas, sous la surveillance des forces de l’ordre. Les migrants et réfugiés ont du mal à digérer cette présence peu rassurante, si on considère que ce sont ces mêmes forces de l’ordre qui viennent régulièrement démanteler leur campements de fortune.
Les autorités semblent encore ignorer la spécificité que requiert le traitement de ces exilés
Ne pas prendre en compte ces problèmes, mais surtout ne pas les avoir anticipés, démontre à quel point les autorités semblent encore ignorer la spécificité que requiert le traitement de ces exilés. Migrants économiques, ou réfugiés politiques pour certains, ces jeunes hommes et femmes que nous avons rencontré sur le terrain à Calais sont souvent originaires de la Corne de l’Afrique ou d’Afghanistan. Ils ont échappé à des régimes politiques où il est difficile d’accorder sa confiance à l’État et à la police, et ont été souvent victimes de maltraitances policières au cours de leurs voyages. Déboutés de leurs demandes d’asile, ils sont, comme nous l’a expliqué avec lassitude un migrant érythréen, « dublinisés ». Une maladie « incurable », qui les empêche de pouvoir choisir leur pays d’accueil.
Leurs empreintes fichées dans la base de données Eurodac, à leur entrée en Italie ou en Grèce, l’asile en France est impossible. Le règlement de Dublin préconise en effet un retour des migrants irréguliers vers le pays européen par lequel ils sont entrés pour y demander l’asile. C’est une double peine. N’ayant aucune chance de voir leur candidature étudiée en France, ne voulant pas vivre en Italie ou en Grèce où ils risquent d’être renvoyés, et où leur demande d’asile peut également être rejetée, les exilés espèrent traverser la Manche. En Grande-Bretagne, pourtant également signataire de Dublin, les exilés auront une chance de rejoindre leur famille ou leurs amis, et peuvent espérer y trouver un travail, car les contrôles d’identité y sont moins fréquents.
Pour le moment, force est de constater que ces repas takeaway ne pallieront pas encore les déficiences de l’État et de l’Europe quant à leurs responsabilités envers ces exilés. Sans crédulité, ni parti-pris, la démarche ethnographique que nous cherchons à effectuer auprès des migrants et des acteurs associatifs sur le terrain calaisien, nous a montré, après seulement quelques jours de présence, à quel point les politiques migratoires et d’asile actuelles sont aussi déraisonnables qu’imprudentes. La soupe de Macron a bien du mal à passer.