Au Burkina Faso le droit au logement, fait de plus en plus des gorges chaudes entre certains maires et les populations. Entre querelles autour de terrains et déguerpissement parfois forcé, on est tenté de dire que la question foncière est un cocktail Molotov pour l’avenir. Dans cet entretien, le président du Mouvement de solidarité pour le droit au logement (MSP-DRO.L.) Seydou Traoré crache ses vérités. Injustice, malversations, laxisme bref, les qualificatifs n’ont pas manqué chez le président du MSP-DRO.L. pour parler du problème foncier.
FasoPiC : Présentez-nous votre structure.
Seydou Traoré: Le Mouvement de solidarité pour le droit au logement (MSP-DRO.L) est une structure qui existe depuis 1999 et qui a obtenu son récépissé en août 2002. Le mouvement lutte pour l’accès à un logement décent de tous les Burkinabè. Au fur et à mesure que les années avancent, nous ajoutons de nouveaux objectifs aux anciens. C’est pourquoi à un moment donné, on intervenait dans la sécurisation foncière parce qu’à l’époque, nous avions constaté que les maires s’accaparaient les terres tout en faisant fi des droits du propriétaire terrien.
FasoPiC : Combien de membres actifs compte le MSP-DRO.L. et quelles sont les conditions d’adhésion ?
Seydou Traoré: Le mouvement de solidarité pour le droit au logement compte environ 20 000 membres. Je puis vous dire que nombreuses sont ces personnes que le mouvement a aidées pour qu’elles aient des parcelles en toute tranquillité. Pour adhérer à notre mouvement, il suffit juste d’avoir deux photos d’identités plus une somme de 1000F CFA, sans oublier la cotisation annuelle qui est fixée à 2000 FCFA qu’il faut respecter.
FasoPiC : Quelles ont été vos activités phares au cours de l’année 2020 ?
Seydou Traoré: Dans la localité de Poosgo, des Peulhs grâce aux autochtones ont obtenu des terres et y vivaient il y a plus de 70 ans. Sous le règne de l’ex régime, le maire de l’arrondissement n°4 à l’époque, les a entourés avec une installation d’usine, sans tenir compte de leurs droits socio-économiques. A notre niveau, nous avons pris le dossier en main depuis 2014, en interpellant CIMBRUKINA SA, l’usine de ciment qui a été installée. Lorsque ses responsables ont voulu insister nous leur avons assigné en justice. C’est là qu’ils ont préféré régler l’affaire à l’amiable.
A l’issu donc de la concertation, 2343 parcelles ont été aménagées au profit des populations et la société a promis construire des logements sur le site pour les bénéficiaires, toutefois s’ils entrent en possession de leurs actes d’attributions. Notre but n’est pas de convoquer des gens en justice, mais lorsqu’une personne veut forcer faire quelque chose qui n’est pas juste, nous sommes contraints de réagir. La vie dans cette zone-là laisse à désirer. En effet, à force d’aspirer la poussière du ciment et la fumée du fer à béton, des femmes ont connu des avortements spontanés et des hommes sont morts de maladies de bronchites à cause des déchets toxiques de ces usines. Et c’est en vain que nous avons attiré l’attention des autorités sur le calvaire que vivaient les populations.
« Bénéwendé Sankara est un homme avisé »
FasoPiC : En tant que clinique de consultation foncière, bénéficiez-vous d’un appui technique du ministère de l’habitat et de l’urbanisme ?
Seydou Traoré: Depuis que nous existons, c’est seulement le ministre de l’urbanisme en 2014, le président de la transition de 2015 et le ministre qui vient d’être remplacé qui nous écoutaient, lorsque nous avions un souci. Dieudonné Bonanet nous a vraiment aidé lorsqu’il était ministre. Par exemple dans l’affaire de Garghin, le juge avait pris l’ordonnance de déguerpir les habitants, mais lorsque nous sommes intervenus avec l’appui du ministre, nous sommes parvenus à un consensus.
FasoPic: Bénéwendé Sankara a été nommé ministre de l’urbanisme de l’habitat et de la ville dans un contexte où la question foncière fait couler beaucoup d’encre et de salive, comment appréciez-vous cette nomination ?
Seydou Traoré: J’ai été incarcéré en 2013 pour des histoires liées à l’apurement du passif foncier et Me Stanislas Sankara s’est porté volontaire pour me défendre. Toute chose qui montre à souhait combien il s’intéresse à la question foncière. Il est juriste et il connait très bien les problèmes fonciers. Je crois que c’est un homme avisé et qu’il pourra répondre aux préoccupations des populations, et ce, s’il s’entoure de techniciens sérieux et rigoureux.
FasoPic: Quelles sont vos attentes vis-à-vis du ministre Bénéwendé Stanislas Sankara ?
Seydou Traoré: Je souhaite que le nouveau ministre se saisisse de l’opération de lotissement suspendue à Ouagadougou et à Bobo Dioulasso, afin de venir à bout de certains problèmes. Par conséquent, nous attendons de lui qu’il lève les décrets qui suspendent le lotissement, en mettant des commissions en place pour favoriser le travail.
Les habitants des zones non loties souffrent assez et il faudra agir. Le Burkina Faso a ratifié des conventions, chose qui n’empêche pas des autorités à aller déguerpir injustement des gens dans leurs zones. Dans tous les cas, la justice connait son travail et nous avons confiance en elle.
Les promoteurs immobiliers n’ont pas le droit de vendre des parcelles
FasoPic: Avec les mésententes que l’on voit un peu partout entre des maires et certaines populations concernant les parcelles, le relogement ou encore le déguerpissement, est ce qu’il faut parler de bombe à retardement si rien n’est fait ?
Seydou Traoré: Le foncier au Burkina Faso faut-il le dire, est une bombe à retardement. En fait, le jour où toutes les personnes frustrées sur cette question de terrains vont se lever comme un seul homme, pour défendre leurs droits socio-économiques, les choses vont s’éclater. Dans ce domaine devenu sensible, si l’on n’y prend pas garde on risque de revivre un deuxième 2014.
Nous, nous sommes avec les populations tous les jours et la majeure partie dit savoir que c’est son droit d’être où elle est. Mais venir appeler les lieux de résidences de ces pauvres personnes « des habitats spontanés », en les déguerpissant, c’est semer la graine d’une haine. Devant la loi, tous les Burkinabè sont égaux et ont les mêmes droits. Mais pourquoi donc au niveau des partages il y a toujours inégalités ? Nous espérons seulement que dans la constitution de la 5e république, toutes ces questions seront prises en compte.
FasoPic: Est-ce que cela n’est pas aussi dû au fait que des maires utilisent les terrains comme bon leur semble, au profit de promoteur immobilier et au détriment des populations ?
Seydou Traoré: Dans une localité où le maire s’évertue pour qu’il y’ ait un lotissement, c’est que c’est pour ses propres intérêts. A titre d’exemple, l’affaire selon laquelle la SONATUR est allée voir la mairie de la commune rurale de Saaba est illégale, donc anormale. Ce qui fait mal, les populations de Kalsin expriment leur mécontentement et les autorités compétentes suivent mais ne réagissent pas.
L’actuel ministre de l’urbanisme qui est là doit avoir un œil regardant sur des situations pareilles. Nous avions dit aux gens de Kalsin depuis le début, de ne pas accepter le recensement parce que, le terrain n’appartient pas à la SONATUR. En effet, les personnes avec qui la SONATUR a signé pour avoir le terrain, c’est avec ces mêmes personnes que des gens ont aussi signées pour être acquéreurs de terrains. Personnellement ce qui ne me plait pas, c’est que les autorités ne veulent pas s’assoir pour discuter avec les organisations des droits humains, pourtant à l’allure où vont les choses elles sont dans l’obligation de le faire, afin de parvenir à une stabilité dans le pays.
Une opération de lotissement demande une concertation préalable. Mais force est de constater que cela n’a pas été fait à Saaba. Pour preuve, les habitants de la zone concernée nous ont mandaté de leur représenter dans les discussions. Arrivés, à notre grande surprise, nous avons été décalés de l’affaire. Le recensement a été fait entre eux, et voilà qu’ils reviennent criés qu’il y a eu des erreurs. Or, cela aurait pu être évité, si seulement une commission légale avait été composée, avec le ‘’ok’’ de tous.
Parlant des promoteurs immobiliers, il faut dire que l’autorité leurs donne le droit d’aller chercher un terrain pour y construire des logements sociaux et non d’aller aménager des parcelles pour vendre. Il n’y a pas cette zone non lotie dans la ville de Ouagadougou où il n’y a pas eu de malversations foncières de 1996 à nos jours, et je le dis avec conviction. Mais, tous les actes illégaux dans le foncier sont à dénoncer.
FasoPiC : Avez-vous un mot de fin ?
Seydou Traoré: Je voudrais m’adresser aux autorités en leurs invitant à être transparentes et associer tout le monde dans l’élaboration des lois d’autant plus que ces lois servent à toute la population. Si vous restez dans des bureaux prendre des lois qui ne respectent pas l’avis des gens, vous serez contredis !
Propos recueillis par Nicolas Bazié