Les dossiers du premier sommet Trump-Poutine à Helsinki

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Helsinki accueille ce lundi 16 juillet 2018 une importante séquence diplomatique, une rencontre qui intrigue voire inquiète : Vladimir Poutine et Donald Trump. C’est la première rencontre bilatérale à ce niveau entre les présidents russe et américain. Il n’y en avait pas eu depuis huit ans. Après des mois de brouille diplomatique, sanctions, renvois de diplomates sur fond d’affaire Skripal, accusations d’ingérences russes dans le processus électoral américain, aucune des deux parties ne s’attend à une percée majeure dans ces discussions.

C’est une rencontre que Donald Trump a longtemps désirée, dont il a estimé qu’elle pourrait être sans doute la plus facile de toutes celles de sa tournée en Europe, avant d’affirmer, à la veille du rendez-vous, s’y rendre avec des « attentes assez faibles ». « Il n’est pas mon ennemi », a répondu le président américain aux journalistes qui l’interrogeaient mercredi sur sa relation avec Vladimir Poutine, à l’issue du sommet de l’Otan à Bruxelles. « J’espère qu’un jour il sera un ami. Je ne le connais pas très bien. »

Plus d’une fois, le locataire de la Maison Blanche a affirmé qu’il caressait l’espoir d’aboutir à « une bonne relation » avec son homologue russe. Mais du côté du Kremlin, cette rencontre revêt également de l’importance : « Ça n’est pas dans l’intérêt de Vladimir Poutine d’avoir les Etats-Unis comme ennemi permanent. Il préfèrerait être reconnu comme un partenaire avec qui il traiterait d’égal à égal », estime Markku Kivinen, directeur du Centre finlandais pour les études russes et est-européennes, à l’Université d’Helsinki.

Relations au plus bas

Les relations entre les deux pays n’ont cessé de se dégrader ces dernières années : divergences sur le conflit en Syrie, désaccord sur l’Iran après la décision de Donald Trump de se retirer de l’accord sur le nucléaire, sanctions liées au dossier ukrainien, où les Etats-Unis accusent la Russie de soutenir les rebelles séparatistes du Donbass, accusations d’ingérence russe dans la présidentielle américaine de 2016… Les contentieux sont légion. L’empoisonnement en mars dernier, au Royaume-Uni, de l’ancien agent double russe Sergueï Skripal et de sa fille n’a pas arrangé les choses : en signe de soutien à Londres, Washington a expulsé des diplomates russes, Moscou a répliqué par des mesures similaires.

Dans ce contexte, « le dialogue, en réalité, ne fait que commencer », souligne Fiodor Loukianov, le rédacteur en chef de la revue spécialisée Russia in Global Affairs. L’analyste réputé proche du Kremlin souligne que les relations ont atteint un niveau de médiocrité inédit et fait qu’une telle rencontre finisse par se tenir est donc en soi déjà une victoire diplomatique pour Moscou : « Vladimir Poutine a le sentiment que l’absence de contacts réguliers entre les dirigeants américains et russes, ça n’est pas normal », explique-t-il.

« Il ne s’agit pas de vouloir à tout prix établir des relations amicales, mais il faut pouvoir se coordonner, chercher à comprendre ce que fait l’autre partie, souligne Fiodor Loukianov. Or s’il n’y a pas de contact, le niveau de compréhension est encore plus faible. Même pendant la guerre froide, même pendant les périodes les plus tendues, une diplomatie informelle continuait de fonctionner. Aujourd’hui, ça n’existe pratiquement pas, tout se résume à des déclarations publiques qui produisent un effet monstrueux. C’est pourquoi, pour les dirigeants russes, il est important qu’une telle rencontre ait lieu. »

Dans la conjoncture actuelle, « c’est plutôt le président russe qui peut tirer parti de cette rencontre », estime Cyrille Bret, enseignant à Sciences-Po Paris, qui codirige le site Eurasiaprospective.net et publie en août Qu’est-ce que le terrorisme ? « L’objectif de Vladimir Poutine, et plus largement de toute son équipe depuis le début des années 2000, c’est de revenir à une parité diplomatique, stratégique, à défaut d’être économique avec les Etats-Unis et là, c’est plutôt un coup gagnant », souligne le chercheur.

Ingérence russe

Reste à savoir de quoi les deux hommes vont s’entretenir et surtout si ces discussions sont susceptibles d’aboutir à des avancées concrètes. Lors de sa conférence de presse à l’issue du sommet de l’Otan, Donald Trump a précisé qu’il évoquerait avec Vladimir Poutine la situation en Syrie, celle en Ukraine, le dossier du contrôle des armements nucléaires ou encore celui de l’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine. Sur ce dernier point, le président américain, dont l’équipe de campagne est soupçonnée de collusion avec les autorités russes, est sous pression de la classe politique américaine. Mais l’échange risque de tourner au dialogue de sourds.

« Donald Trump dira : « Ne vous mêlez pas de nos élections », et Poutine dira : « Nous ne nous en sommes pas mêlés », point barre », résume Fiodor Loukianov. Le président américain pourra toutefois difficilement éluder la question après l’annonce, vendredi 13 juillet à Washington, de 12 nouvelles mises en examen dans le cadre de l’enquête sur l’ingérence russe dans la campagne présidentielle américaine de 2016. Robert Mueller, le procureur spécial, a demandé l’inculpation de ces 12 ressortissants russes, tous membres du service de renseignement de l’armée russe, soupçonnés de s’être introduits dans les ordinateurs de responsables démocrates pour saboter la campagne d’Hillary Clinton.

Selon le journal russe Kommersant, qui cite des responsables américains anonymes, Washington insiste pour mettre par écrit ses inquiétudes concernant l’ingérence russe présumée dans l’élection aux Etats-Unis. Reste à savoir si la rencontre donnera lieu à une déclaration finale. « Ça n’est pas un attribut obligatoire de telles rencontres. Les présidents feront des déclarations en fonction des résultats du sommet », a expliqué le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

Contrôle des armements

Sur d’autres dossiers, les avancées pourraient être plus concrètes. « Dans l’idéal, il faudrait annoncer que les parties vont entamer des discussions sur les arsenaux nucléaires et sur l’avenir des accords qui arrivent à échéance », avance Fiodor Loukianov. Le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF), que les deux pays s’accusent mutuellement de violer, date de 1987. Il vise l’élimination de missiles de croisière et de missiles balistiques, lancés depuis le sol et ayant une portée se situant entre 500 et 5 500 km. Il pourrait être aussi question du renouvellement du New Start, un traité de réduction des armes nucléaires signé en 2010 par les deux pays qui limite à 1 550 le nombre de têtes nucléaires par Etat et qui arrive à expiration en février 2021.

Le rédacteur en chef de Russia in Global Affairs estime qu’à Helsinki, les deux dirigeants pourraient aussi s’entendre sur la question épineuse de la présence militaire iranienne dans le sud de la Syrie, près de la frontière israélienne. « C’est en réalité ce qui se passe déjà sur le terrain, avec une délimitation des sphères d’influence », estime l’expert russe. « Donald Trump aura besoin de faire une déclaration du type : « Israël est désormais en sécurité, j’ai convaincu Poutine qu’il fasse en sorte que l’Iran s’en aille de là-bas. » Concrètement, cela signifie qu’il n’y aura plus d’unités iraniennes ou pro-iraniennes dans la zone frontalière. C’est compliqué mais c’est réalisable. De toute façon, la Syrie n’intéresse pas Trump. »

Accord sur la Syrie ?

Un sentiment que partage Philip Golub, professeur de relations internationales à l’Université américaine de Paris, pour lequel il est possible que l’Iran se retire de la frontière israélienne en Syrie : « Evidemment, Vladimir Poutine ne peut pas directement donner des ordres à l’Iran. La situation sur le terrain est complexe, la défense iranienne sur place constitue une force importante pour le soutien au régime syrien (….) mais il y a une diplomatie américaine qui cherche à isoler l’Iran, à trouver des alliances avec des pays comme la Russie, au prix de tensions grandissantes avec les alliés européens des Etats-Unis. »

Pour autant, tempère Fiodor Loukianov, « sur la Syrie, il est peu probable que les résultats des discussions soient rendus publics, car c’est une question sensible. Il peut y avoir une avancée, mais elle sera discrète. » Quoi qu’il en soit, si avancée il y a, Vladimir Poutine va se retrouver dans une position forte : « C’est une demande qu’on lui fait, il demandera en retour des concessions », estime Philip Golub. Et c’est justement ce qui inquiète les alliés traditionnels des Etats-Unis. Ils redoutent que le président américain ne cède à des demandes de Vladimir Poutine qui pourraient les mettre en difficultés, d’autant qu’une rencontre en tête-à-tête, uniquement en présence des interprètes, est au programme.

Donald Trump pourrait-il envisager de lever certaines sanctions visant la Russie voire reconnaître l’annexion de la Crimée ? Impossible, tranche Fiodor Loukianov : « L’Europe se trouve dans un état de psychose dépressive parce qu’elle ne sait pas comment se comporter avec les Américains. En russe, nous avons une expression : la peur grossit les objets. Les Européens apeurés voient déjà une alliance de Trump et Poutine contre le reste de l’Europe. Mais tout cela n’a pas de sens. Il ne reconnaitra pas la Crimée, tout comme il ne sortira pas l’Otan, il ne peut y avoir aucun accord stratégique avec la Russie. Quant au fait qu’il méprise ses alliés européens, c’est déjà un autre sujet, mais il ne concerne en rien la Russie. »

Sur la question de la Crimée, il est tout à fait possible que Donald Trump, « qui ne s’embarrasse pas beaucoup des questions du droit international », fasse « un geste en direction de Vladimir Poutine », estime pour sa part Philip Golub, qui ne voit toutefois le président américain aller jusqu’à reconnaitre l’annexion pure et simple de la péninsule ukrainienne. Cyrille Bret abonde dans son sens : « Je ne pense pas qu’on verra des concessions majeures telles qu’une révision de la position américaine sur la Crimée ou l’Ukraine orientale ou sur les sanctions. » Et le chercheur de rappeler que « Donald Trump n’est pas à lui tout seul l’Etat américain ; il y a aussi des organes très puissants. Les groupes parlementaires républicains au Sénat comme à la Chambre des représentants campent eux sur des positions républicaines beaucoup plus classiques, de dureté, de fermeté à l’égard de la Russie et de maintien de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. »

Jeu à somme nulle gagnant-perdant

Mais les Européens ont quand même raison de s’inquiéter « sur la question plus large d’un abandon américain de l’Alliance atlantique », estime Philip Golub. « Les Etats-Unis de Trump mènent une politique internationale fondée sur l’idée que les relations internationales sont un jeu à somme nulle, gagnant-perdant. En menaçant d’abandonner l’Alliance atlantique, Donald Trump espère trouver des marges diplomatiques sur toute une série de dossiers, y compris économiques, comme le commerce international », avance le professeur de relations internationales à l’Université américaine de Paris.

Autre dossier susceptible d’inquiéter les puissances européennes : Donald Trump a affirmé qu’il évoquerait peut-être l’arrêt des exercices militaires américains dans la Baltique lors de sa rencontre avec Vladimir Poutine. Le mois dernier, le locataire de la Maison Blanche s’est engagé auprès de Kim Jong-un à mettre fin, à terme, aux exercices militaires conjoints avec la Corée du Sud. Pourrait-il adopter le même schéma en Europe ? La perspective, en tout cas, inquiète. Pour Cyrille Bret, il pourrait s’agir d’une promesse de « réduction du format des exercices » comme BALTOPS en mer Baltique, ou ANAKONDA en Pologne. Ces manœuvres qui ont lieu annuellement ou une fois tous les deux ans, ont été initiées dans les années 1970.

« Elles varient en intensité et en format. Il y a deux ans, c’était un format extrêmement important, car il s’agissait de marquer le terrain face à la Russie », explique Cyrille Bret. « La concession qu’il pourrait faire par symétrie avec l’annulation des exercices avec la Corée du Sud serait une réduction du format de ces manœuvres, même si au sein de l’Otan, les Etats-Unis sont plus limités dans leurs décisions qu’ils ne le sont à l’égard de leurs alliés en Asie, Corée du Sud ou Japon. L’Otan est une machinerie compliquée qui possède ses contre-pouvoirs, et qui n’est pas radicalement sur une ligne « trumpienne » », ajoute l’enseignant-chercheur. Reste l’imprévisibilité du président américain : « Les alliés des Etats-Unis ne peuvent plus être sûrs que les Etats-Unis seront prêts à les défendre en cas de crise majeure. Donald Trump a explicitement créé un espace d’ambiguïté autour de l’article 5 et ça crée une très grande marge d’incertitude », soutient pour sa part Philip Golub.

Pour autant, aucune des deux parties ne s’attend à des avancées majeures en Finlande. « Les concessions seront délicates à faire des deux côtés, tant le contexte est compliqué. A mon sens, si Donald Trump n’était pas contraint et sous pression du système politique américain, il souhaiterait sans doute conclure des accords plus importants avec la Russie. Et Poutine le sait. Mais ils sont tous les deux contraints par ce climat de nouvelle guerre froide », pronostique Markku Kivinen de l’Université d’Helsinki. Il y aura sans doute « des symboles, des gestes, des déclarations, une proximité, mais pas de décision, pas de réorientation et sûrement pas de « reset », de retour à la case départ, que le prédécesseur de Donald Trump, Barack Obama avait annoncé. Les divergences structurelles sont trop importantes pour que ces relations puissent changer de cours, à brève échéance », conclut Cyrille Bret.

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