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En 2014, devant une banque et confrontée à un problème de monnaie pour payer les frais de parking, l’artiste Ami Koïta, présente sur les lieux, est venue à notre secours. Au-delà des remerciements à son endroit, nous l’avons tellement fixée qu’elle a fini par nous dire au revoir par un signe de main. Notre attitude n’était plus consécutive à son geste, mais deux questions nous taraudaient l’esprit : Pourquoi Ami Koïta ne vieillit pas ? Comment parvient-elle à garder son teint toujours éclatant malgré l’âge ? Ce jour, le cadre ne s’y prêtait pas pour ces interrogations là ; d’ailleurs elle n’a pas donné non plus l’occasion de l’aborder pour engager un mini dialogue entre nous. Toujours est-il que cela fait mal à un journaliste d’échouer face à un fait ou une information exploitable.
Quand la direction du journal demande de la rencontrer dans le cadre de la rubrique ” Que sont-ils devenus ? “, le temps est alors venu pour nous d’avoir une précision sur le secret de la cantatrice.
La chanson dans le sang
L’accueil à nous réservé par ses petits-enfants prouve à suffisance qu’elle reste attachée aux valeurs cardinales de notre société basées sur le respect des ainés et l’hospitalité. Après les formules d’accueil d’usage au bas de l’escalier, nous avons suggéré à Ami Koïta de jeter un coup d’œil sur ses trophées, avant de rentrer dans le vif du sujet, l’interview proprement dite. Une visite guidée dans son salon nous a permis de savoir qu’elle a remporté plusieurs trophées, entre autres : les trophées d’Africa Awards de 1995 à Libreville au Gabon, de 1998 à Abidjan, du meilleur album folklorique, de la K7 d’or de la maison de production Mali K7, du trophée de la meilleure musique traditionnelle de Gombo Africa, du trophée de la victoire de la musique d’Afrique Gefraco en février 1994 à Paris, du trophée de l’étoile de la musique malienne dotée du prix Bazoumana Sissoko. S’y ajoutent les nombreux diplômes de reconnaissance de son talent décernés aux Etats Unis, à Paris et au Nigéria. Et c’est en contemplant ces expositions que nous avons trouvé l’astuce pour glisser nos deux questions. Parce qu’il n’est pas facile de tenir certains propos à l’égard d’une ainée ou d’une doyenne.
Souriante, Ami a répondu sans détours. Son secret pour garder sa peau et son teint éclatant est dû au fait qu’elle n’a pas eu le temps de trainer dans la jeunesse. Elle s’est mariée très tôt, à bas âge. Elle a vite fini ses maternités et le tout complété par une toilette quotidienne permanente.
Agée aujourd’hui de 66 ans, Ami Koita a été, avec les Tata Bambo Kouyaté, Wandé Kouyaté, et sa sœur Dipa, Sali Sidibé, Salif Keïta, Coumba Sidibé, Awa Dramé, les premiers artistes de l’époque post indépendance à donner un socle à l’art national et à la culture malienne. Il n’existait pas entre eux d’égocentrisme, de guerre de clans et cette trahison que nous connaissons avec les artistes d’aujourd’hui. Eux au moins se mettaient au-dessus de tout acte qui pouvait entacher leur personnalité, leur dignité et leur renommée.
Née à Djoliba (localité située à 40 km de Bamako sur la route de Kangaba), Ami Koita a passé une bonne partie de son enfance à Kirina, le village de sa mère. Elle a vu le jour dans une famille de griots. Elle n’a pas connu son père dans son rôle de griot traditionnel auprès des chefs de cantons, des notables ou lors des cérémonies sociétales. Elle apprendra plus auprès de sa mère.
Ami est venue à Bamako suite au décès de son père, quand le frère de celui-ci est allé chercher la famille. Une fois dans la capitale, Ami Koïta, toujours à l’école de sa maman, profite des baptêmes et mariages pour effectuer des sorties solitaires dans les quartiers populaires de Niarela et de Bagadadji. Cet exercice, qui a l’allure d’un test ou même d’une familiarisation avec le public, la propulse au-devant de la scène. Elle intègre l’Ensemble Instrumental National en 1966, à la suite d’un concours de chant. Puisqu’elle avait déjà de l’inspiration pour faire revivre l’histoire du Mandé, cette nouvelle aventure, sinon l’école de l’orchestre national, parachèvera son talent et fera d’elle une artiste confirmée. Elle a fait d’ailleurs son premier enregistrement la même année.
Après dix ans couronnés de concerts, de festivals et de tournées à travers le monde, Ami Koïta quitta l’orchestre national en 1977. Cette décision se justifiait-elle ? L’enfant de Djoliba s’explique : ” J’ai pris la décision de quitter l’Ensemble instrumental du Mali, parce que les contraintes liées aux déplacements devenaient plus nombreuses. En plus, les salaires étaient insignifiants et irréguliers. Au moment même de ma démission, nous avions trois mois d’arriérés de salaires “.
18 albums en un quart de siècle
Libre pour donner une dimension internationale à sa carrière solo, Ami Koïta multiplie les concerts, les tournées à l’extérieur et produit sa première cassette (K7) en 1978. Cela n’était que le début d’une pléiade de productions sur une période de plus d’un quart de siècle, soit un total de 18 albums. Pour expliquer ces exploits, elle soutient que la nature l’a dotée d’une qualité : l’inspiration à chaque fois qu’elle décide de chanter.
Partisan de la vie en société, porte-parole jusque dans les familles, on ne saurait parler d’une retraite pour une griotte de la trempe d’Ami Koïta. Au terme d’une riche carrière musicale, les artistes montent généralement des projets, une façon de rester sur scène et d’être en contact avec le public.
Le projet de notre héroïne porte sur une école à deux volets : l’une pour des études et l’autre consacrée à la musique et dont l’accès est lié à la réussite du premier niveau, c’est-à-dire l’école normale. Malheureusement, Ami Koïta fait face à un conflit domanial qui a tendance à entraver son projet. Elle affirme être victime d’une escroquerie de la part d’un couple, avec lequel elle a payé deux terrains ; les actes administratifs sont dûment signés par le maire central. Après la police, l’affaire s’est retrouvée devant les tribunaux et jusque-là elle n’a pas connu de dénouement lui permettant de rentrer en possession de ses terrains. Ami dit attendre la fin des élections pour relancer le dossier et s’adresser à qui de droit.
Justement à propos desdites élections, soutient-elle un candidat ? Cette question a son pesant d’or quand on sait que des artistes ont dévié de leurs rôles dans la société en s’affichant clairement et publiquement derrière des candidats ou en faisant des déclarations pour manifester leur désamour vis-à-vis d’un autre. Sur le sujet, Ami Koïta clarifie sa position : ” Je suis apolitique, c’est-à-dire que je ne suis d’aucun parti politique. Et, je ne soutiens aucun candidat. Cependant, en ma qualité de griotte, j’appartiens à la société. Le palais présidentiel est le symbole du pays, si on m’appelle pour faire des prestations, je ne saurai refuser. Mais cela ne veut pas dire que je soutiens un candidat. Mieux, je suis reconnaissante vis-à-vis de tous les présidents de la République qui se sont succédé au pouvoir. D’Alpha Oumar Konaré à IBK en passant par ATT, tous m’ont décorée. Donc, je ne saurai être ingrate vis-à-vis d’eux. Je les aime et les apprécie parce que le Bon Dieu a voulu qu’ils soient nos dirigeants. Pour les prochaines élections présidentielles, je prie le même Dieu qu’il fasse de telle sorte que les Maliens choisissent un président qui pourra leur donner plus de bonheur “.
Existe-t-il un parallèle entre leur génération et celle d’aujourd’hui ? Ami Koïta n’hésite point pour affirmer que les temps sont diamétralement opposés. A leur époque, le griot n’a jamais dévié du chemin tracé par les traditions, pour être trempé dans des affaires sales. L’ambiance, l’entraide, la cohésion ont toujours caractérisé leurs relations. A présent, leur génération entretient de bons rapports et aucune animosité ne les oppose.
Si la nouvelle génération pouvait s’inspirer de leurs ainés, la culture malienne retrouverait ses valeurs d’antan.
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