ME CHRISTOPHE BIRBA, CONSEIL DE LA DEFENSE DANS LE PROCES DU PUTSCH MANQUE : « Quand un avocat est mal à l’aise dans son dossier, il crie au dilatoire »
A peine ouvert le 27 février dernier, le procès du putsch manqué de septembre 2015 a été reporté au 21 mars prochain, après que les avocats de la défense eurent quitté la salle d’audience en signe de protestation contre la légitimité du président du tribunal. Nous sommes allé à la rencontre de Me Christophe Birba, un des avocats de la défense, pour mieux comprendre leurs griefs. Il nous répond sans ambages, tout en rassurant qu’ils seront présents à la reprise du procès.
« Le Pays » : Pouvez-vous rappeler brièvement à nos lecteurs ce que vous reprochez exactement au tribunal ?
Me Christophe Birba : Nous ne reprochons rien à un tribunal, parce qu’aucun tribunal n’est constitué pour l’instant. Par contre, nous avons fait des constats, lesquels devaient conduire à la levée de la séance du 27 février 2018.
Le parquet militaire a demandé au conseiller Seydou Ouédraogo de prendre une ordonnance pour autoriser des militaires moins gradés que les accusés à siéger comme assesseurs militaires. C’est là-bas qu’il y a problème, car cette décision doit être prise par le Président de la Chambre de première instance. Or, au 27 février 2018, le conseiller Seydou Ouédraogo n’est pas président de la Chambre de première instance dans la mesure où le décret qui lui donne cette qualité n’est pas encore en vigueur.
L’accusation a développé deux arguments pour repousser notre argumentaire. Elle explique que le décret est un acte individuel qui entre en vigueur dès sa notification à son destinataire d’une part, et d’autre part, à supposer que le décret n’était pas en vigueur, le conseiller Seydou Ouédraogo n’en demeurerait pas moins président en vertu de la nomination de 2017 qui ne cesse qu’à compter de l’entrée en vigueur de sa nouvelle nomination. C’est tout à fait inexact et nous y avons répliqué trait pour trait. Le décret en cause est bien un acte règlementaire qui renouvelle tout le personnel du tribunal militaire (juges d’instruction, assesseurs militaires, conseillers, etc.). L’article 2 de l’ordonnance 75-23 du 6 mai 1975 veut que les règlements n’entrent en vigueur que 8 jours francs à compter de leur publication au Journal officiel. En tous les cas, à supposer qu’il était même un acte individuel, dès lors que l’Etat entend opposer un tel acte à tous les citoyens, il doit être publié au Journal officiel afin que nul n’en ignore les termes. Dans le cas d’espèce d’ailleurs, l’article 6 du décret a prévu qu’il doit être publié au Journal officiel. Ce qui clos le débat sur ce point-là. S’agissant du deuxième volet de l’argumentation de l’accusation qui consiste à soutenir que la nomination du conseiller Seydou Ouédraogo en tant que Président du tribunal de l’année dernière, court toujours jusqu’à l’entrée en vigueur du décret de 2018, lui aussi ne tient pas la route.
En effet, s’il est exact qu’il était Président de la Chambre de jugement du Tribunal militaire en 2017, il reste que cette Chambre a été supprimée avec la loi 044 du 4 juillet 2017 qui a modifié la loi sur le Tribunal militaire. Ce n’est même plus du droit, il est mathématiquement impossible qu’il ait conservé la qualité de président. Car, il était président de quelque chose qui a été supprimé. Il va demeurer président de quoi ? Soutenir que sa présidence a pu subsister à la suppression de la Chambre, c’est vraiment soutenir l’absurde.
Lorsque nonobstant ces constats clairs, le juge a voulu opérer un passage en force, nous étions contraints de quitter la salle pour ne pas être complices d’une violation si frontale de la loi.
« Ceux qui crient au dilatoire n’ont, en réalité, pas d’arguments. Ce sont des adeptes du populism
Une certaine opinion vous reproche de faire dans le dilatoire pour que le procès n’ait jamais lieu. Que leur répondez-vous ?
Je réponds que cette opinion m’inquiète ! Ceux qui crient au dilatoire n’ont, en réalité, pas d’arguments. Ce sont des adeptes du populisme. Quand un avocat est mal à l’aise dans son dossier, il crie au dilatoire. La vraie question qu’il faut se poser est bien celle de savoir si au 27 février 2018, le décret de nomination des juges du Tribunal militaire, était en vigueur. Tous les juristes honnêtes s’accordent à dire qu’il n’est pas en vigueur parce que, entre le 22 février (date de publication du décret) et le 27 février (date d’audience), il s’est écoulé 3 jours francs alors que la loi de 1975 exige 8 jours francs pour que le décret en cause puisse être opposé aux citoyensburkinabè.
Ils savent que le décret n’est pas en vigueur, mais ils veulent qu’on s’associe à eux pour violer la loi. Refuser une telle compromission, ce n’est pas faire du dilatoire, c’est faire preuve d’indépendance. Nous n’avons pas pour ambition d’empêcher la tenue du procès. Nous n’en avons, du reste, pas les moyens d’en empêcher la tenue. Nous avons l’ambition d’obtenir par tout moyen de droit, un procès équitable parce que c’est le meilleur hommage qui puisse être rendu aux martyrs de la résistance au putsch.
Les victimes ont consenti le sacrifice suprême pour exiger le respect des lois et règlements, pour plus d’Etat de droit, pour plus de justice. On ne doit pas sacrifier une seconde fois leur mémoire en leur rendant justice dans l’injustice.
Mais en vous attardant sur les questions de procédure, est-ce que vous ne faites pas du tort à vos clients dont certains croupissent toujours en prison ?
Je réponds toute suite que non ! Refuser la violation d’une règle de procédure, c’est précisément répondre aux attentes du justiciable, c’est refuser l’arbitraire.
Quelles sont vos conditions pour un retour au prétoire ?
Nous ne sommes pas en grève. Nous n’avons donc pas de condition pour regagner le prétoire du juge. Par contre, nous userons de tout moyen de droit pour obtenir un procès équitable.
La reprise du procès est annoncée pour le 21 mars prochain. La défense sera-t-elle présente ?
Bien sûr. J’ai reçu mon avis à conseil. Nous nous préparons tout naturellement.
Est-ce que vous pensez que certains témoins cités comme le président du Faso, le Mogho Naaba, Jean Baptiste Ouédraogo pourraient comparaître devant le Tribunal ?
Ce sont les avocats du Général Diendéré qui les ont cités en témoignage ; je n’assure pas personnellement la défense de cet accusé. Il serait bon de poser la question à ses avocats. Mais pour ma part, j’estime que tout citoyen burkinabè qui peut éclairer la justice, doit y concourir. C’est tout à son honneur.
Comment envisagez-vous la suite du procès ?
Une défense intrépide, sans concession, sans complaisance et avec toute la rigueur que m’offre la science du droit.
Propos recueillis par Drissa TRAORE
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