« Il faut, à la guerre, profiter de toutes les occasions, car la fortune est femme ; si vous la manquez aujourd’hui, ne vous attendez pas à la retrouver demain.» conseillait NAPOLÉON Ier. Peu de réflexions illustrent autant que celle-ci le contexte actuel du Burkina Faso post-insurrection. Les burkinabè sont déchainés, travailleurs du public comme ceux du privé, particuliers, en guerre contre leur longue souffrance ou ce qu’ils considèrent comme telle. La chute de Blaise COMPAORE en 2014 apparait aux yeux de beaucoup de nos concitoyens comme une opportunité à saisir pour enfin réaliser leurs rêves, gagner et réussir leur vie, repousser les limites de leur liberté. Cette volonté d’atteinte de nos objectifs pour l’essentiel définis hâtivement, aurait-elle transformé le Burkina Faso en charogne que se disputeraient des vautours ? La question mérite bien d’être posée. Dans notre immense majorité, par notre comportement, au quotidien, nous sommes en train de donner raison à LA BEAUMELLE qui rend opérationnel le conseil de NAPOLÉON Ier en remarquant qu’ « On ne s’élève que par de grandes vertus ou par de grands crimes, par des talents supérieurs ou par une stupidité avérée, par une extrême hauteur ou par une extrême bassesse : toujours par les extrêmes.» Le seul hic, c’est que nous nous sommes massivement inscrits à l’école de LA BEAUMELLE, mais avec les grandes vertus, les talents et la hauteur en moins. La chose sur laquelle les burkinabè s’accordent et qu’ils partagent le mieux aujourd’hui, c’est la volonté d’écarteler le pays par leurs décisions et comportements, par leurs appétits et les excès qui les portent. Les magistrats ont ouvert le bal des extrêmes d’abord par les avantages qu’ils ont exigé et obtenu, ensuite par leur récent arrêt de travail sans préavis. Il faut donc s’attendre à ce que dans les jours et mois à venir, l’été des revendications légales des meilleures conditions de vie et de travail cède la place à l’automne des mouvements sociaux illégaux. Mon pays serait-il alors devenu une charogne que se disputeraient les travailleurs ? En tout cas, au regard des grèves et autres sit-in en nombres sans cesse croissants, chacun semble vouloir sa part et plus grande que celle des autres, se prenant pour le meilleur d’entre tous. Les magistrats, parce qu’ils connaissent les affaires de tout le monde, parce que nous les avons déifié en leur confiant la justice qui est pourtant une exclusivité du créateur ; les financiers, parce qu’ils sont les gardiens de notre grenier ; les informaticiens parce que l’humain s’est plié et est en train de mourir en confiant son destin aux machines ; les acteurs de la santé, parce qu’ils s’occupent de la maladie qui est après l’ignorance, le pire ennemi de l’homme ; les enseignants parce que l’éducation est la cause première de tout ; les policiers, parce que la sécurité conditionne la stabilité ; les autres, parce que…
Mon pays serait-il devenu une charogne que se disputeraient aussi les politiciens de toutes appartenances ? Quand ils ne créent pas des partis pour monnayer leur alliance, ce sont des tablettes ou des millions que certains se partagent quelque part. Ceux qui sont au pouvoir ne ménagent aucun effort pour protéger leur conquête/butin. C’est légitime et humain. On ne peut pas leur en vouloir pour cela. Leurs cousins d’en face jurent par tous les dieux qu’ils auraient pu faire mieux et peignent tout en noir comme si eux-mêmes n’ont que des vertus. Ils ont raison tant qu’ils ne sont pas aux affaires. Ils sont couverts par cette chance de ne pas être aux affaires. Tous cherchent à séduire et à dompter le peuple qui devient finalement un instrument/une charogne qui se laisse arracher quelques morceaux par ces…prédateurs.
Mon pays serait-il devenu une charogne que se disputeraient mêmes les organisations de la société civile (OSC) ? On dit des OSC qu’elles sont des structures de veille. Mais leur prolifération laisse tout le monde dans le doute. Surtout que leurs responsables sont parfois accusés d’accointance avec des partis politiques. A tort ou à raison, ils sont nombreux les burkinabè qui pensent que certains responsables d’OSC ont fondamentalement amélioré leur quotidien depuis l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 et même quelque peu avant. Ils tireraient grand profit de la précarité de leurs tuteurs respectifs et de tous bords, faisant penser ainsi que mon pays est devenu une charogne.
Visiblement, il y a une véritable opportunité d’affaire pour tous dans le Burkina Faso post-insurrection. Tout le monde est occupé à faire vite car on ne sait jamais. Chacun veut sa part tout de suite. Après ? Mais après on verra. Si les choses se gâtent, chacun aurait obtenu sa part de gâteau. D’ailleurs il n’y a rien et on s’en-fout, point barre. Nos enfants ? Ils vont se débrouiller avec ce qui restera du pays ou trouver une terre d’asile quelque part au nord, ou ailleurs, pour vendre leurs talents de terroristes ou de mercenaires. Notre génération actuelle se comporte comme si nous n’avons aucune responsabilité dans l’avenir de ce pays. Nous sommes en train d’épuiser les ressources et les valeurs que nous ont laissées nos devanciers pour ne laisser qu’un pays sans perspective comme héritage à nos enfants. Si les burkinabè ne se ressaisissent pas, le Burkina Faso ressemblera bientôt à un oiseau auquel de méchants et inconscients petits enfants ont arraché toutes les plumes. Il ne peut plus voler et est à la merci des intempéries et des prédateurs. Nous avons individuellement et collectivement chevauché les extrêmes, faisant fi de leurs conséquences. Tout le monde sait que tout le monde exagère. Mais personne ne prend la responsabilité ni le courage de dire ‘‘moi, je mets de l’eau dans mon vin. Je vais rencontrer x ou y et ensemble, nous allons penser d’abord au pays sans lequel il est illusoire de penser à nous-mêmes.’’ Personne ne veut commencer. Faut-il conclure qu’il n’y a plus d’hommes capables de se transcender et de transcender cette situation inédite que vit le Burkina Faso mon pays? Allons-nous nous résoudre à changer ou faut-il hélas donner raison à MACHIAVEL pour qui « Deux choses s’opposent à ce que nous puissions changer : d’abord nous ne pouvons pas résister au penchant de notre nature ; ensuite un homme à qui une certaine façon d’agir a toujours parfaitement réussi, n’admettra jamais qu’il doit agir autrement. C’est de là que viennent pour nous les inégalités de la fortune : les temps changent et nous ne voulons pas changer.» Hum. D’accord, ne changeons pas. Evitons de continuer à alimenter le feu qui va consumer tout ce que nous sommes en train d’engranger. L’histoire sera sans pitié pour tous et chacun. Feu Norbert ZONGO disait que personne n’aura un avenir dans un pays qui n’en a pas. Ce serait dommage si nous ne tirons pas leçon de cette prophétie.
BOUBACAR Elhadji
boubacar.elhadji@yahoo.fr
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