L’on n’a pas besoin d’être un devin pour oser une réponse à cette question devenue récurrente. On l’entend de plus en plus dans tous les milieux. Elle est posée aussi bien par des intellectuels que par des analphabètes, en ville comme en campagne. Elle cache mal une profonde inquiétude chez les burkinabè qui perdent chaque jour un peu plus leur sérénité. Et cela fait peur, très peur parce que le doute est en passe de devenir une certitude, celle de se convaincre à tort ou à raison que nous n’allons nulle part. Un cousin analphabète nous demandait, il y a quelques jours, ‘‘où va notre terre ’’, entendez, où va notre pays ? Nous avons eu tellement peur parce que quand des gens dont la préoccupation première est l’abondance des pluies, se posent et posent une telle question qui, à priori, intéresse les intellectuels, les acteurs de la société civile et les hommes politiques, il y a lieu de paniquer. Dans l’histoire du Burkina Faso, il est difficile de trouver un régime comme celui actuel qui s’est retrouvé en train en même temps de faire face aux quatre (4) plus grandes menaces qui puissent se liguer contre une nation : le sentiment d’impunité, la sclérose de l’administration publique, l’insécurité et la fronde sociale et politique. Le drame est que nous semblons tous ou presque ne pas percevoir que le temps joue contre nous pour chacune de ces menaces. Le destin, l’impitoyable destin nous dit que le temps des calculs est terminé, que nous n’avons plus le choix, que notre salut individuel et collectif tient à la diligence que nous ferons dans la réponse à ces fléaux. Et que faisons-nous pour nous sauver, nous en sortir ? Ne prenons pas le risque d’oser une réponse à cette interrogation.
Face aux préoccupations relatives à la justice et aux conditions de vie des burkinabè, restées entières, reste aussi entier le mécontentement des populations. Les grèves succèdent aux sit-in, les marches aux conférences de presse, les mouvements d’humeur des travailleurs ou de la société civile à certaines déclarations ou décisions des autorités ou des hommes politiques. Le front social ne laisse aucun répit au régime. Le pays est devenu comme un éléphant abattu dans un village. Chacun mobilise sa famille, aiguise son couteau, salive, accourt et exige sa part, plus grande que celles des autres. Pour ne rien arranger, des querelles intestines minent certains partis politiques, tous bords considérés. Des organisations de la société civile (OSC) aussi sont visitées par le démon de la division. Les dossiers qui empêchent le pays des hommes intègres de tourner en rond ‘‘suivent toujours leurs cours en justice’’, espérant trouver une embouchure apaisée et accueillante. Ils constituent un boulet aux pieds de tout le pays. Et ça commence à devenir difficile à comprendre et à accepter. L’institution judiciaire est sous la pression des politiques, des OSC et de tous ceux qui ne se retrouvent plus sous ces deux chapelles et préfèrent le statut inaltérable d’insurgé. Notre justice recrute chaque jour un peu plus de mécontents. Elle perd un peu plus chaque jour la confiance des burkinabè, au lieu de repousser les limites de cette confiance. Et personne ne sait là où cela va nous mener, si le pays n’est pas libéré de ces dossiers qui cristallisent les opinions et les passions depuis des mois voire des années. Il est inutile de perdre du temps, le jugement de certains dossiers étant le pont d’accès à la baisse d’une certaine tension sociale. Le ressentiment des burkinabè liés à la lenteur dans le jugement des dossiers pendants ressemble dangereusement et de plus en plus, à celui qu’avaient suscité les dernières velléités de modification de l’article 37 de la constitution.
Dans l’administration publique, pour évoquer l’autre ‘‘mal de peau’’ de notre pays, tout est au ralentit, c’est juste la maintenance que les gens font. Si c’était même une bonne maintenance. Le Plan National de Développement Economique et Social (PNDES) a un adversaire coriace : une administration publique éprouvée par la corruption, la paresse, l’absentéisme, les retards, l’insouciance, une fonction publique animée de plus en plus par des acteurs qui vivent mal leur ‘‘honorable’’ statut de fonctionnaire, qui peinent à cacher leur distance avec le métier qu’ils ont pourtant choisi. Elle est aussi troublée, cette administration publique, par une hiérarchisation des secteurs et des acteurs, par un traitement différentiel des secteurs et des acteurs, une hiérarchisation et un traitement qui flirtent avec l’iniquité, créant ainsi la division et la démotivation, renforçant sans cesse le mécontentement de tous. Une administration dont les travailleurs ne sont pas contents, à raison, de la gestion de leur carrière. Une administration qui peine à offrir de bonnes conditions de vie et de travail à ses animateurs. Or, la solution est à portée de main : se parler, relire urgemment tous les textes pour plus de justice et d’équité entre les acteurs, afin que l’harmonie et le travail reprennent enfin du service. Avant, sinon afin de mieux relire les textes, il est utile d’organiser dans chaque commune, des conférences publiques ou des rencontres d’échanges avec les communautés sur les services publics. Ainsi, les populations exprimeront leur perception sur ces services et proposeront des solutions d’amélioration de leur rendement. Et c’est certain, les populations des villes et des campagnes ont des tas de choses à dire sur notre fonction publique actuelle. Il faut tout repenser. Il n’y a pas d’autres issues et l’urgence à aller dans ce sens n’a d’égales que les dramatiques conséquences de la situation actuelle. Du reste, même si le budget du PNDES équivalait à celui des USA, avec notre administration actuelle, notre développement économique et social serait comme un mirage. S’il est vrai qu’aucune plante ne peut se développer sur un terrain pauvre, il devient évident que notre administration publique dans sa situation actuelle, nous ferait manquer certains objectifs du PNDES et probablement les plus essentiels.
Le clou de nos problèmes vient de la menace sécuritaire qui prend pieds et forme dans le pays, au nord plus que partout ailleurs. Le sahel est une région à tout prix à défendre au regard de sa position géographique, de sa superficie (13% du territoire national), de son apport de plus en plus accru à l’économie nationale mais aussi et surtout parce que le Burkina Faso est un tout dont l’existence n’est effective qu’avec toutes les parties qui le composent. Le sahel partage et avec lui notre pays, ses frontières avec le Mali et le Niger. Ce sont les mêmes communautés presque qui se retrouvent de part et d’autres des frontières des trois pays. Il semble que du côté malien, c’est un no mans land. Plus que jamais, le Burkina Faso et le Niger doivent donc leur survie/existence dans la défense de leurs frontières avec le Mali. La raison ? Mais elle est toute simple : ne pas faire perdre tout espoir à leurs communautés respectives à ces frontières. Sinon, l’allégeance des populations aux autres devient un moyen de résilience et est vite arrivée. Ce sera la jonction des communautés lasses et désespérées sur les trois frontières d’attendre le salut de leur Etat, et qui finiraient par se convaincre qu’il vaut mieux se construire son propre territoire, comme le laisse percevoir le récent rapport de l’international crisis group (ICG) s’agissant de la situation au Soum. Redoutable et dramatique scénario à éviter à tout prix. A éviter pour éviter que ceux qui nous menacent ne nous prennent en étau en ouvrant un autre front à l’ouest de notre pays, une fois leurs objectifs au nord atteints. Aussi, il est utile de le relever, si les services de sécurité sont plus en insécurité que les civils au sahel, vers qui vont se tourner les populations dans la région? Que vont-elles faire ? L’espoir que représentent les forces de défense et de sécurité pour les populations doit être maintenu et renforcé par tous les moyens, même si les rapports entre les deux entités dans la région suscitent beaucoup d’interrogations.
Disions-nous, notre pays ressemble à un animal traqué et pris en étau par quatre groupes de prédateurs représentés par la lenteur de la justice (assimilée à l’impunité par certains et considérée comme preuve d’absence d’indépendance par d’autres), l’insécurité, les mouvements sociaux et une administration publique en ‘‘panne’’. Pour nous extirper de ce guêpier, le moment est venu pour nos leaders coutumiers, religieux, pour notre société civile, bref pour tous ceux qui incarnent encore une certaine valeur, qui ont une quelconque audience dans toutes les régions et à l’extérieur du pays, d’agir. Trouvons vite les hommes et les moyens pour régler les questions de justice qui cristallisent nos émotions, pour faire face aux défis sécuritaires, ramener l’équité, la sérénité et le travail dans l’administration publique. Arrêtons de chercher constamment par nos excès, par nos calculs, par notre immobilisme dans la prise de décision, bref par tous nos défauts, à encenser le démon de la division et de la déstabilisation. Allons puiser dans nos dernières ressources, les moyens de nous tirer d’affaire. Par au moins trois fois, durant la décennie en cours, Dieu nous a épargné le chaos : 2011, 2014 et 2015. Il est vrai que le seigneur ne se lasse jamais d’être aux côtés de ses créatures. Mais il appartient aussi aux créatures de fournir les efforts nécessaires à la cohésion sociale. Il y a trop d’agitation et nous sommes en train de perdre de vue que seule la paix sociale mérite notre mobilisation, notre engagement. Et que tous nos espoirs et nos postures actuelles tirent leurs sources de l’existence d’un Burkina Faso stable. Mais pour combien de temps si nous continuons ainsi ? Il y a trop de signes qui ne rassurent pas. Gouvernants comme gouvernés gagneraient dans ce pays à se ressaisir pour sauver l’essentiel, pour que le sentiment de recul qui est en train de germer ne voit pas le jour, ne prenne pas forme et position dans les esprits. Faisons vite. Sinon, nous ne tarderons pas à faire face à la réponse à la redoutable question ‘‘où va notre pays ?’’. Dieu sauve le Burkina Faso.
BOUBACAR Elhadji
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