Politique monétaire : la Beac met la Cemac à la diète

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Hausse du taux directeur, contrôle accru des changes, arrêt des avances directes aux États… Depuis un an, le nouveau gouverneur de la banque centrale s’efforce de reconstituer les réserves de change de la zone.

Changement d’époque à la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac). Depuis son arrivée il y a un an à la tête de la banque centrale commune au Congo, au Gabon, au Tchad, au Cameroun, à la Guinée équatoriale et à la Centrafrique, le gouverneur Abbas Mahamat Tolli imprime sa marque. La métamorphose impulsée par le Tchadien se traduit d’abord par son style de gestion. « Il est plus directif et proactif. Sa formation militaire y est pour beaucoup, sans aucun doute », suggère Désiré Avom, le doyen de la faculté des sciences économiques et de gestion de l’université de Dschang, au Cameroun.

Comme lorsqu’au mois de juillet dernier il est descendu dans l’arène pour donner une conférence de presse, diapositives à l’appui, afin de démonter la rumeur persistante d’une dévaluation du franc CFA de l’Afrique centrale.

Fin d’une décennie de politique accommodante
Le changement le plus significatif ? La fin de la politique de l’argent facile. Une semaine avant son installation officielle, le 30 mars 2017, il présidait déjà son premier comité de politique monétaire ; lequel mettait un terme à une décennie ininterrompue de politique monétaire accommodante autorisée par son prédécesseur, Lucas Abaga Nchama.

Le taux d’intérêt des appels d’offres (TIAO), son principal taux directeur, subissait alors une hausse de 50 points de base, à 2,95 %. Et d’autres augmentations ne sont pas à exclure si les réserves ne se reconstituent pas assez rapidement.

En fait, le Tchadien n’avait pas le choix. Le contexte économique morose qui frappe la Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) , consécutif à la chute depuis 2014 des cours des matières premières, et notamment du pétrole, rend indispensable une cure d’austérité. Quatre des six États ont déjà conclu un programme triennal avec le FMI pour résorber leurs déficits jumeaux. Un ajustement budgétaire qui devait s’accompagner d’un effort sur le plan monétaire.

« L’objectif est de conforter le volume des réserves à moyen terme à au moins cinq mois d’importations. Cela permettrait à la ­sous-région de mieux résister à d’éventuels nouveaux chocs exogènes », soutient Abbas Mahamat Tolli
Ce choc économique, combiné au creusement des dépenses des États et à une politique monétaire expansionniste, a fait vertigineusement chuter les réserves de change de la zone, qui sont passées de 15,5 milliards de dollars en décembre 2014 à 4,9 milliards de dollars à la fin de 2016, couvrant seulement 2,3 mois d’importations. Suffisant pour que le FMI tire la sonnette d’alarme pour stopper l’hémorragie, en provoquant un sommet extraordinaire des chefs d’État de la Cemac, le 23 décembre 2016, à Yaoundé, sur lequel a plané la menace d’une dévaluation.

Le spectre d’une dévaluation toujours présent
« C’était une nécessité pour éviter le risque d’une nouvelle dévaluation. Or nous savons que c’est une mauvaise politique pour les pays de la zone franc, car elle ne corrige pas les dysfonctionnements structurels de nos économies », relève l’économiste Désiré Avom. « L’objectif est de conforter le volume des réserves à moyen terme à au moins cinq mois d’importations. Cela permettrait à la ­sous-région de mieux résister à d’éventuels nouveaux chocs exogènes », soutient Abbas Mahamat Tolli.

Le gouvernement a également décidé de durcir le contrôle des changes. « En la matière, la Cemac reste la zone la plus laxiste du monde », reconnaît le dirigeant de la filiale d’un groupe bancaire panafricain. Les banques pouvaient détenir des devises pendant un mois avant de les restituer à la banque centrale.

En ramenant ce délai à 72 heures, la mesure a entraîné une raréfaction des devises étrangères, une augmentation de leur coût d’acquisition et a fâché certains acteurs économiques. « Leur rémunération était de 0,30 %. Elle se situe à présent entre 1,5 % et 2 % », peste un importateur de produits alimentaires établi à Douala.

Dans une période difficile, la Beac a simplement décidé d’appliquer strictement les textes en vigueur
La durée nécessaire au financement des importations s’en est aussi trouvée rallongée. « Il nous fallait auparavant trois jours pour répondre aux sollicitations de nos clients désirant des devises. À présent, c’est trois semaines au minimum. Puisque les premiers arrivés sont les premiers servis, des files d’attente se forment dans nos locaux », se plaignaient en chœur Alphonse Nafack et Alexandre Beziaud, patrons des filiales camerounaises d’Afriland First Group et Société générale, le 20 février dernier.

Fin des avances directes et exceptionnelles
Ils priaient Louis Paul Motaze, alors ministre de l’Économie, de saisir Alamine Ousmane Mey, son collègue des Finances de l’époque, afin qu’il intercède auprès du gouverneur.

Mais ce dernier n’a pas l’intention de céder. « Dans une période difficile, la Beac a simplement décidé d’appliquer strictement les textes en vigueur, ce qui met un certain temps à être intégré par les opérateurs économiques et les établissements de crédit », rappelle-t-il. Même les États sont soumis à la diète.

Les avances directes et exceptionnelles, qui permettaient aux gouvernements de recourir à la banque centrale afin d’arrondir les fins de mois, ont été supprimées en début d’année. Et le remboursement des sommes prêtées dépendra de l’évolution de la conjoncture.

Entre-temps, le gouverneur a dû signer des conventions de consolidation avec les différents ministres des Finances pour l’étaler sur une décennie. « Il est d’ailleurs prévu qu’en cas de retour à meilleure fortune un remboursement accéléré et anticipé puisse être réalisé par les États concernés », espère Abbas Mahamat Tolli. Sans doute avant la fin de son mandat, en 2024.

Mireille Bailly

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