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Très rapidement après la confirmation des premiers cas de coronavirus au Burkina Faso, le gouvernement a pris la sage décision d’ordonner la fermeture de l’ensemble des écoles et établissements de tous ordres d’enseignement sur l’ensemble du territoire national. Une mesure de précaution, accueillie favorablement, avec compréhension, adhésion et sens de la responsabilité par la quasi-totalité des acteurs et partenaires du système éducatif.
L’unanimité autour de la mesure a été telle que quelques récalcitrants, qui ont essayé de ramer à contrecourant, se sont vus sèchement rappeler à l’ordre. Véhément interpelés par les médias, publiquement désavoués par l’opinion, ces indélicats ont parfois subi la loi d’une police civique citoyenne, exercée par des populations riveraines qui les ont contraints à la fermeture.
Depuis le 16 mars 2020, tous les élèves ont donc été remis à la bonne garde de leurs parents, en attendant et dans l’espoir de nouvelles plus rassurantes sur le front de la lutte engagée contre la propagation de la maladie à coronavirus appelée COVID-19. Malgré la menace subséquente, qui découle de cette fermeture et pèse sur le déroulement et l’achèvement normal de l’année scolaire, aucune protestation, d’où qu’elle vienne, n’a à ce jour et de ma connaissance été élevée, pour exiger du gouvernement une quelconque réouverture des classes. Comment le pourrait-on et qui oserait engager une pareille démarche ou revendication, lorsque l’on observe l’évolution de la pandémie à coronavirus, cause de la fermeture des écoles ?
Par deux fois, le gouvernement a dû repousser l’échéance prévue pour une reprise des chemins de l’école. Les dates du 1er ni ensuite celle du 16 avril n’ont ainsi pu être tenues, eu égard au bilan sanitaire du COVID-19. Voici qu’un troisième communiqué gouvernemental, daté du 12 avril dernier, vient fixer une probable reprise des activités pédagogiques pour le mardi 28 avril 2020. Il paraîtrait que cette fois-ci, c’est du sérieux ! Avant la parution du communiqué du porte-parole du gouvernement sur la question, on a vu circuler sur les réseaux sociaux ce qui a été qualifié par la suite de « document de travail » par les sources du ministère en charge de l’Education et qui avait trait aux conditions administratives, techniques et sanitaires notamment d’une reprise possible, planifiée pour le 21 ou le 28 avril 2020. Selon le « document de travail » en question, c’est donc la seconde hypothèse calendaire qui l’aura vraisemblablement emporté dans la programmation gouvernementale. Mais est-ce vraiment raisonnable tout ça ?
Ne tentons pas le diable !
Je m’exprime en tant que parent d’élèves, doublé d’un administrateur d’établissement scolaire. Dans cette affaire, il faut que le gouvernement sache impérativement raison garder ; afin de ne pas se laisser entraîner dans les pièges d’une argumentation purement technique et trop théorique à bien des égards. Pour avoir parcouru avec beaucoup d’intérêt et d’attention le fameux « document de travail », supposé avoir guidé la réflexion des experts et autres techniciens du ministère ayant sans doute abouti à la proposition de reprise le 28 avril, entérinée par voie de communiqué gouvernemental, je reste perplexe et plus que dubitatif, quant au réalisme et à la possibilité réelle de mise en œuvre de certaines mesures d’accompagnement préconisées.
Comment peut-on, sérieusement et raisonnablement, penser que, même avec l’aide de l’Etat, l’ensemble des établissements scolaires publics et privés du Burkina Faso, dans un délai aussi bref d’ici au 28 avril, puissent être équipés en dispositifs suffisants de lave-mains ? Que les centaines de milliers voire millions d’écoliers, élèves et étudiants soient dotés de masques (ou cache-nez si l’on préfère), même de fabrication locale ? Par quelle magie compte-t-on réduire des effectifs de 100/150 souvent, à des classes de moins de 50 élèves, pour espérer pouvoir instaurer et faire respecter la distanciation minimale d’un mètre durant les cours ? Que préconise-t-on comme formule magique, pour garder les enfants distants les uns des autres d’au moins un mètre pendant les récréations et lors des interclasses ?
Je pourrais multiplier les questions, sans être certain que les auteurs de cette proposition de réouverture des écoles au gouvernement aient eux-mêmes la moindre réponse opérationnelle et satisfaisante. La plupart de nos artisans-soudeurs ont beau flairé la bonne affaire et s’être reconvertis en inventeurs-fabricants de systèmes plus ou moins fonctionnels de lave-mains, force est de reconnaître que ce serait un véritable miracle, en 2 semaines, de pouvoir en disposer suffisamment, pour équiper les dizaines de milliers d’écoles et d’établissements scolaires à travers le pays.
Tout le monde connaît et déplore les difficultés d’approvisionnement et de disponibilité des masques industriels à travers le monde, depuis le début de cette pandémie. Même et surtout pour les besoins impératifs d’équipement et de protection du personnel soignant. Se rabattre sur les cache-nez en Faso Dan Fani ou en pagne Kokododa localement cousus nous ramènera à la même difficulté que pour les dispositifs de lave-mains. En ce qui concerne les mesures anti-promiscuité enfin, il ne faut pas qu’on se leurre. En l’état actuel des choses, ramener les enfants à l’école, c’est tout simplement dire adieu, dans ces espaces restreints et parfois incroyablement confinés, aux fameuses mesures barrières.
Malgré des moyens autrement plus conséquents que ceux dont peut disposer le Burkina Faso, nombre de pays observent pour cela avec prudence et beaucoup de recul le challenge dangereux que représente la gestion de l’école, dans un contexte sanitaire aussi délétère que celui que nous traversons. L’éducation est la clé de l’avenir de nos enfants et de la nation certes. Rien cependant ne sert de bomber fièrement et avec candeur sa poitrine pour aller se jeter dans un puits.
Une boîte de pandore
Jamais 2 sans 3, dit un adage populaire bien connu. Si la reprise des classes a pu être reportée par deux fois déjà, peut-être qu’elle le sera une troisième fois. Et pourquoi pas sine die, en attendant des lueurs plus rassurantes quant à une possible victoire dans le combat contre le COVID-19 ? En tant qu’éducateur et parent d’élèves, j’implore pour ma part vivement la clairvoyance du gouvernement dans ce sens. Le pire serait que, en voulant faire un bien (sauver l’année scolaire), l’on ne légitime et ne récolte une révolte sociale, aux conséquences désastreuses sur ce qui reste de notre quiétude et de notre cohésion nationale.
Je ne suis pas un oiseau de mauvais augure. Quelles réactions prévisibles peut-on toutefois attendre des commerçants des marchés et yaars fermés d’autorité ? Quelle conduite auront les tenanciers de maquis, bars et autres lieux de réjouissances, en chômage imposé depuis plusieurs semaines ? Ne peut-on pas craindre qu’une réouverture précipitée des écoles soit perçue et interprétée, sinon comme un retour à la normale, du moins comme une autorisation implicite et automatique de reprise de leurs activités pour les uns et les autres ? Dans ce cas de figure, que fait-on de la lutte engagée contre la propagation de la maladie ? Qui nous oblige actuellement à des quarantaines et à l’observation d’un couvre-feu général et strict, qui dure depuis bientôt un mois ?
Il est du devoir du ministère de l’Education, de réfléchir et de planifier une reprise des activités pédagogiques dans notre pays. Nous avons tous espoir, avec nos plus hautes autorités, que le COVID-19 puisse être un jour vaincu et que nous retrouvions une vie normale. Pour autant, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation comme on dit. Dans le contexte d’aujourd’hui, aucune reprise de l’école n’est ni possible ni envisageable, sans impliquer un certain nombre de paramètres et d’acteurs. Le premier des paramètres-guides pour une éventuelle reprise des activités pédagogiques est et demeure l’avancée positive et significative en termes de résultats, sur le plan de la lutte contre la pandémie du coronavirus. Le gouvernement peut difficilement se justifier d’avoir renvoyé les élèves chez eux, quand il n’y avait qu’une dizaine de cas de malades déclarés du coronavirus tout au plus, pour aujourd’hui vouloir les ramener dans les mêmes écoles, au moment où nous avons franchi le cap de 500 personnes contaminées dans divers coins du pays. C’est une question de simple logique.
A la cacophonie visible sur le front de la gestion de la riposte contre la maladie, il serait malencontreux pour le moins, suicidaire pour le pire, d’ajouter une fuite-en-avant vers une certaine forme de normalisation, aux allures à la fois populistes, dangereuses et politiquement contreproductives. De ce point de vue, l’annonce faite d’une reprise de l’école au Burkina Faso le mardi 28 avril 2020 est une très mauvaise sonde d’essai d’opinion, si ça en est une. Si d’aventure il était sérieusement envisagé de faire reprendre pour de vrai les cours à cette date, il est encore temps pour le gouvernement de reconsidérer cette malheureuse décision.
Persister dans un tel projet, c’est prendre ouvertement le risque de se heurter à une incompréhension, à un refus motivé et justifié de nombreux parents d’exposer, sur le chemin de l’école, leurs enfants à un risque sanitaire mortel connu. C’est se mettre à dos une bonne frange des acteurs de l’éducation mis devant le fait accompli et dont il n’est pas certain que les exigences et les revendications, liées à cette donne nouvelle et inédite, seront supportables par l’Etat. C’est ouvrir le chemin à une accentuation de l’incivisme, de la désobéissance et de la défiance publique, sur fond de manque de lucidité et d’équité dans certaines mesures (certains ferment pendant que et d’autres rouvrent…).
En un mot comme en mille, il y a sans doute mieux comme démarche et perspectives. Il convient donc d’avoir le courage de remettre l’ouvrage sur le métier du côté du ministère de l’Education. Ceci pour ne pas induire le gouvernement en erreur et le conduire dans une inéluctable impasse.
A bon entendeur, un parent et éducateur soucieux.
Sidzabda Damien OUEDRAOGO
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