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Manque d’information, vulnérabilité face aux maladies sexuellement transmissibles ou aux grossesses non désirées… Une enquête sur la sexualité des jeunes du Grand Tunis révèle les conséquences du manque de politique de sensibilisation.
L’avortement, illégal ? 53 % des Tunisiennes sondées le pensent. Un chiffre étonnant dans un pays précurseur où le droit à l’avortement est accordé depuis 1973… La Tunisie est toujours le seul État arabe à l’autoriser sans conditions.
En tout, 1 062 jeunes de 15 à 24 ans ont été sondés dans trois ensembles socio-économiquement hétérogènes du Grand Tunis, à savoir la cité Ettadhamen ; la zone Douar Hicher, Radès, cité Ennasr ; ainsi qu’El Menzah.
Les autres résultats de l’enquête de l’association Tawhida Ben Cheikh sont aussi alarmants : la jeunesse tunisienne connaît peu, ou mal, ses options en matière de santé sexuelle. 80 % des jeunes sondés par cette étude ignorent encore que l’avortement est gratuit dans les services publics. Une méconnaissance qui menace fortement l’accès à ce droit. Et ce déficit d’information n’est pas propre à l’IVG. L’association réclame des campagnes de sensibilisation.
Cette enquête, c’est une manière de tirer la sonnette d’alarme », affirme Hadia Belhaj, présidente de l’association
Méconnaissance des moyens de contraception
Si la pilule contraceptive est assez connue, pour 80 % des filles et 75 % des garçons, ce n’est pas le cas du préservatif, qui lui reste inconnu pour 40 % d’entre elles et 31 % des garçons interrogés. Des réponses inquiétantes, le préservatif étant le seul contraceptif capable de prévenir les maladies sexuellement transmissibles.
Quant à la pilule du lendemain, 60 % de l’ensemble des jeunes ignorent son existence. Tout aussi révélateur, 23 % des 15-16 ans ne connaissent aucune méthode contraceptive, contre 6,2 % chez les 23-24 ans.
La notion même de santé sexuelle et reproductive est inconnue, que ce soit chez les adolescents ou même chez les parents », souligne Mariam Mzoughi
Mariam Mzoughi, secrétaire général de l’association Waaï, pour la santé sexuelle, reproductive et éducatrice dans les établissements scolaires, n’est pas étonnée par ces chiffres : « Ils sont assez représentatifs, je dirais même que la réalité est encore pire, la notion même de santé sexuelle et reproductive est inconnue que ce soit chez les adolescents ou même chez les parents », explique-t-elle. « Certains adolescents ignorent même l’existence des maladies sexuelles transmissibles (MST), pour eux un rapport sexuel ne présente qu’un risque de grossesse ».
Manque d’éducation sexuelle
Si 85 % des jeunes interrogés affirment avoir déjà eu une expérience sexuelle, dans une société encore marquée par le poids des traditions, les écarts entre les genres persisteraient : 21 % des filles ont déclaré avoir eu des expériences sexuelles contre 63 % des garçons. Le ministère de la Santé estimait lui, en octobre dernier, que 75 % des filles et garçons âgés de 15 à 20 ans auraient eu une expérience sexuelle.
Reste que la puberté, les organes sexuels ou la sexualité restent eux aussi des terrains inconnus pour nombre d’entre eux. 44 % des filles et 36 % des garçons déclarent n’avoir aucune information sur les organes sexuels masculins (contre 28 % des filles et 32 % des garçons pour les organes sexuels féminins). Au total, 42 % des filles et 21 % des garçons disent n’avoir eu aucune information sur la sexualité et son fonctionnement.
L’éducation sexuelle doit immédiatement être intégrée dans les programmes scolaires « , s’indigne Mariam Mzoughi
« Comment les adolescents vont-ils bien vivre leur puberté si rien ne leur est expliqué au préalable et qu’ils ne sont pas guidés ? Les premiers cours sur la reproduction en Sciences de la vie et de la Terre arrivent bien trop tard, à l’âge de 14 ans, et certaines jeunes filles ne comprennent alors même pas ce qui leur arrive lorsqu’elles ont leur règle pour la première fois », s’indigne Mariam Mzoughi.
Outre le manque d’information, quand ces jeunes en reçoivent, ils le seraient pas le biais de sources non structurées telles que les parents, internet (70 % des cas) ou encore les amis. L’éducation sexuelle est, elle, quasiment absente et, plus préoccupant encore, seuls 0,7 % des garçons et 1,4 % des filles déclarent avoir reçu une information d’un prestataire de santé.
« Il est extrêmement urgent d’engager les secteurs publics de la santé et de l’éducation dans un nouveau processus de diffusion de l’information. L’éducation sexuelle doit immédiatement être intégrée dans les programmes scolaires pour les générations futures », insiste Hadia Belhaj.
Une véritable absence de l’État ?
Des chiffres qui soulignent un manquement de la part des institutions de santé publique dans l’éducation sexuelle des jeunes.
Dans les années 1990, l’Office national de la famille et de la population (ONFP), armature du programme du planning familial, dédiait 22 centres sur tout le territoire aux jeunes. Des éducateurs étaient à leur disposition et des préservatifs étaient distribués.
Une stratégie de réhabilitation de ces centres est en cours. « Nous espérons faire de ces centres, des lieux où les jeunes trouveront une réponse à toutes leurs doléances, comme des problèmes liés à la santé sexuelle et reproductive ou encore à l’addiction et au tabagisme », précise à Jeune Afrique Rafla Tej Dellagi, PDG de l’ONFP. Leur avenir sera discuté en septembre.
Nous prévoyons de mettre à la disposition des jeunes des cellules d’information au sein des établissements scolaires et universitaires », précise Ahlem Gzara Zargouni
De son côté, Ahlem Gzara Zargouni, directrice de la médecine scolaire au ministère de la Santé, assure qu’un plan stratégique spécifique à la jeunesse est en cours d’élaboration. Toutefois, ce plan ne devrait consacrer que peu de moyens à la santé sexuelle. Il insistera davantage sur la santé mentale des jeunes.
« Pour l’instant, l’introduction d’un programme d’éducation sexuelle n’est pas encore confirmée, cela devra se faire avec l’aval du ministère de l’Éducation, affirme-t-elle à Jeune Afrique. Cependant nous prévoyons de mettre à la disposition des jeunes des cellules d’information au sein des établissements scolaires et universitaires, où ils pourront s’adresser directement à du personnel médical au sujet de leur santé sexuelle et reproductive ».
En janvier 2018, c’est une député d’Ennahdha, Yamina Zoghlami, qui avait lancé le débat au Parlement : « Nous devons ancrer la culture sexuelle auprès des enfants. Cessons de parler de halal et haram et apprenons à l’enfant à se familiariser avec son corps ! », avait-t-elle alors déclaré.