En cette fin d’année 2017, le Burkina Faso se trouve dans l’antichambre d’une crise inédite. Disons-le tout de suite, la crise actuelle dans le secteur de l’éducation porte en elle-même les germes d’une crise socio-politique majeure. Il est très gênant, probablement exagéré de le dire. Nous faisons partie de tous ceux qui sont tenaillés par l’inquiétude face à une situation que probablement peu de gens apprécient, après le push manqué de septembre 2015, comme la plus grande menace contre le Burkina Faso post-insurrection. Nous l’avons déjà dit et le répétons : dans un pays pauvre comme le nôtre, aux prises avec toutes les adversités, quand le secteur de l’éducation n’ouvre pas une crise majeure, elle la clos de la plus dramatique des manières. Et, une crise mal gérée dans ce secteur débouche toujours sur une crise socio-politique. Nous n’avons pas besoin d’aller ailleurs pour nous en convaincre, l’histoire de notre pays nous fournit assez de preuves dans ce sens.
Actuellement, tous les syndicats ou presque de l’éducation ont mutualisé leurs efforts pour exiger qu’un autre regard soit porté sur leur secteur. Cette posture de ces syndicats tire ses sources d’une frustration longtemps contenue, exacerbée par le traitement différentiel-préférentiel diront certains- d’autres acteurs de la même fonction publique burkinabè. Au-delà des conditions de vie et de travail plus que difficiles dans lesquelles se trouvent les enseignants et leurs élèves, le sentiment de frustration grandit dans le milieu des éducateurs. En effet, aucun corps de la fonction publique burkinabè ne travaille dans des conditions aussi difficiles que celles que vivent les enseignants, du primaire au supérieur. En plus de cela, il faut ajouter que des efforts ont été fournis pour répondre aux aspirations d’autres acteurs de la même fonction publique. C’est l’élément nouveau qui alimente les ressentiments des acteurs de l’éducation et qui ne fera que radicaliser leur position si des réponses urgentes et adéquates ne sont pas apportées. C’est une erreur de gouvernance regrettable et qui ne pardonne pas. Maintenant qu’elle est commise et que tout le monde perçoit clairement sa charge émotive et ses conséquences, il est inutile de perdre le temps dans des accusations et des plaintes qui ne sont que des entraves à la recherche de solutions. L’entrée en scène des enseignants dans cette brèche ouverte par nos gouvernants donne un autre tournant et une autre ampleur au problème au point de menacer la cohésion sociale. Les enseignants éprouvent un sentiment d’injustice lié à leur rémunération, à leurs conditions de travail et au manque de considération. Et pour se faire entendre, ils ont pris des mesures qui sont à termes plus destructrices de notre système éducatif et donc de notre pays que les grèves. Nous sommes du domaine et pesons bien nos mots. Sans évaluations, sans productions de données statistiques et sans encadrement, c’est la mort subite de notre école sinon son inexistence qui ne dit pas son nom. Les enseignants n’ont même plus besoin de décréter une grève, de quelque durée que ce soit. L’année blanche est la moins grave des conséquences des mesures que les syndicats de l’éducation ont adoptées. C’est notre vivre-ensemble qui dans le fond est en jeu. Déjà que nous avons des problèmes à gérer à nos frontières, n’en rajoutons pas d’autres à l’intérieur avec des mouvements d’élèves et probablement de populations en perspective mêmes dans les localités les plus reculées du pays. Il ne faut pas que l’on se voile la face. La reprise des cours en janvier est chargée de tous les risques. Le mois de janvier 2018 est un mois à risque.
Numériquement, les acteurs de l’éducation constituent la majorité des travailleurs de l’Etat et leurs actions touchent toutes les familles et pratiquement toutes les localités du pays. Au regard de l’unité d’action qu’ils affichent et de la sensibilité de leur secteur, le président du Faso ne doit pas perdre une seule seconde pour les rencontrer afin de limiter les dégâts qui sont déjà inestimables. Les responsables syndicaux et leurs militants sont aussi des parents d’élèves et personne ne mesure mieux qu’eux la gravité de la situation. Eux-mêmes ne souhaitent certainement pas qu’elle perdure. Il est utile d’éviter de vouloir alors s’éterniser dans des dialogues qui ne feront que durcir les positions et compromettre pour longtemps l’avenir de notre école. Dans ce dossier, il n’y a plus de calcul à faire.
Il n’y a pas de problème sans solution. Face à toute situation difficile, comme celle qui nous concerne présentement, il existe toujours quelque part une réponse adéquate, des hommes et des femmes capables d’apporter des réponses. Et la situation actuelle n’est pas inéluctable. Il y a certainement mille solutions à lui apporter. Mais de notre humble avis et au regard de sa gravité et de l’urgence à la résoudre, nous persistons à croire que le plus urgent reste le dialogue franc et direct entre le chef de l’Etat et les syndicats de l’éducation. S’il a des contraintes, ce sera l’occasion pour lui de le faire comprendre à ses interlocuteurs qui aiment ce pays tout autant que lui. Tous ceux qui avaient convaincu le chef de l’Etat à rencontrer les magistrats, les policiers, les transporteurs…doivent savoir que la situation actuelle est plus grave. Il est important que ceux qui le peuvent et qui aiment le Burkina Faso, qu’ils soient de l’entourage du président du Faso ou pas, l’aident à nous tirer du bourbier vers lequel nous nous dirigeons avec le mouvement en cours du monde de l’éducation, un monde qui a simplement besoin d’être rassurée sur l’attention qui lui sera accordée désormais. Ainsi procédée, il est certain que nous pourrons non seulement sauver notre école mais aussi préserver la cohésion sociale.
Insistons pour dire que s’il y a une crise qui suggère l’anticipation et l’engagement personnel du président du Faso, c’est bien celle qui mine le secteur de l’éducation actuellement. Tous ceux qui veulent du bien pour ce pays doivent accompagner le chef de l’Etat dans ce sens. Personne ne tirera profit de cette situation si une réponse adéquate n’est pas trouvée dans un bref délai. Nous ne le disons pas seulement parce que nous sommes du domaine, ou parce que nous sommes alarmiste. Nous le disons parce que comme beaucoup de burkinabè, nous appréhendons pleinement la portée de cette crise qui ne fait que commencer. Les discussions en cours actuellement avec le premier ministre peuvent être d’une grande utilité pour le président du Faso. L’heure est venue pour lui de saisir cette opportunité que lui offrent les enseignants pour engager les réflexions permettant d’aboutir à une remise à plat des textes de notre fonction publique. Dieu sauve le Burkina Faso.
BOUBACAR Elhadji
Inspecteur de l’Enseignement du 1er Degré
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