Avec Lenali, l’entrepreneur malien Mamadou Gouro Sidibé met à la disposition des personnes illettrées un réseau social qu’elles peuvent entièrement maîtriser par la voix et dans leur langue, qu’ils s’agisse du bambara, du soninké, du songhay, du mooré, du wolof ou du français.
« Demandez à un commerçant malien pourquoi il ne va pas sur Facebook : il vous dira qu’il ne voit pas l’intérêt de payer des données mobiles pour difficilement comprendre le contenu, faute de maîtriser suffisamment la langue française, a fortiori à l’écrit. En revanche, si on lui propose un réseau local où il peut poster par la voix et dans sa langue les produits qu’il vend et qu’il peut livrer chez vous, il comprendra bien mieux son intérêt », explique Mamadou Gouro Sidibé.
Ce Malien est rentré au pays en 2014, après de prestigieuses études entre la Russie et la France : boursier de l’État malien, il avait été envoyé en 1991 étudier à l’Université électro-technique de Saint-Pétersbourg – d’où il a assisté aux premières loges à la chute de l’URSS. Il a ensuite décroché un doctorat de l’Université de Versailles avant de travailler pour le CNRS et dans le privé sur des programmes de recherche autour de l’internet du futur. Une situation qui lui procurait un train de vie confortable, avec sa femme et sa fille dans leur logement des Yvelines en banlieue parisienne, et qu’il aurait pu choisir de préserver.
Mais en 2014, il décide de rentrer à Bamako, avec l’idée de développer un concurrent malien aux services de messagerie et de voix sur internet (Skype, WhatsApp et Viber). Son objectif est double : faire un « Viber africain », moins gourmand en bande passante, pour tenir compte du coût encore élevé de la donnée mobile, et qui permettrait aux usagers, dans l’immensité majorité détenteurs de deux numéros de mobiles au moins, de pouvoir les utiliser tous les deux avec un seul compte sur une application.
Une idée qui fait long feu. Invité en 2014 à présenter Lenali lors d’une conférence dédiée au plan numérique de l’État, Mali numérique 2020, « tout le monde a trouvé ça super et la salle a applaudi à tout rompre. Mais derrière, ce fut le désert », se rappelle-t-il.
Et puis, un jour, le déclic : « Un beau jour, à la supérette du coin, le marchand qui a l’habitude de me vendre ses produits me tend son smartphone et me demande de lui traduire le message affiché sur Viber qu’il ne pouvait pas lire… parce qu’il ne savait pas lire », raconte l’ingénieur de 44 ans. Ce dernier réalise alors que le Mali compte parmi les quelques pays au monde dont le taux d’alphabétisation est inférieur à 50 % de la population.
Mamadou Gouro Sidibé décide alors de laisser tomber les premières versions de Lenali, qui ne faisaient pas la différence par rapport à ses prestigieux concurrents, pour se focaliser sur cette majorité de Maliens, qui est souvent équipée d’un smartphone à très bas coût et d’un accès à internet mobile.
Certes, les mastodontes globaux lorgnent aussi le milliard d’usagers d’internet sur mobile du continent. Facebook permet par exemple de « liker » ou de poster des statuts par SMS, et traduit son interface en langues locales, telles le swahili, l’afrikaans ou encore l’arabe. Whatsapp, la filiale de Facebook, mise, elle, sur la gratuité de ses appels et la confidentialité de son réseau. Aucun, cependant, n’a fait de l’illettrisme la porte d’entrée à son service.
Il faudra deux ans – et des « discussions nombreuses avec Monsieur et Madame tout le monde » – au chef d’entreprise pour déterminer clairement en quoi Lenali pouvait être pleinement malien et innovant.
Ce sera donc par la voix, ce qui « colle » à une certaine culture orale africaine. L’entrepreneur développe d’abord des guides vocaux dans plusieurs langues (bambara, soninké, songhay, mooré, wolof, français) pour aider à l’installation de l’application. Puis rend progressivement toutes les fonctionnalités accessibles par la voix : les appels, bien sûr, gratuits comme ailleurs, mais surtout les messages vocaux qui peuvent prendre la forme d’une bande audio allant jusqu’à 59 secondes, les publications sur un fil social où textes, photos mais aussi enregistrements sonores sont promus.
http://www.jeuneafrique.com/530357/economie/start-up-de-la-semaine-lenali-le-reseau-social-malien-qui-sadresse-aux-illettres/
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