Il y’a quelques semaines, des suicides d’élèves et d’étudiants des universités publiques ont défrayé la chronique au Burkina Faso. Ce phénomène dont les jeunes burkinabè entendaient parler ailleurs, notamment en Europe, est-il en train de vouloir gangrener la société burkinabè ? Comment comprendre que des jeunes puissent se laisser aller à une telle extrémité ? Quelle thérapie pour tuer le mal dans l’œuf ?
Les pays occidentaux sont en avance sur les concepts. On y parle de plus en plus d’aide au suicide ou de suicide assisté. L’aide au suicide, ou suicide assisté, désigne l’acte de fournir un environnement et des moyens nécessaires à une personne pour qu’elle se suicide. C’est la personne elle-même qui déclenche sa mort et non un tiers. En cela, l’aide au suicide est différente de l’euthanasie. L’euthanasie est un acte qui consiste à provoquer intentionnellement la mort d’autrui pour mettre fin à ses souffrances. L’euthanasie est volontaire lorsqu’elle est pratiquée conformément aux vœux d’une personne capable ou à une directive préalable valide. L’euthanasie est non volontaire lorsqu’elle est pratiquée sans qu’on connaisse les vœux d’une personne, qu’elle soit capable ou non. L’euthanasie involontaire, qui est assimilée au meurtre ou à l’homicide involontaire coupable, est pratiquée à l’encontre des vœux d’une personne capable ou d’une directive préalable valide. Le suicide en milieu estudiantin nous permet de lever un coin du voile sur un phénomène assez préoccupant dans la société burkinabè. Le suicide touche toutes les couches sociales et tous les âges. Mais il se manifeste de plus en plus fortement au niveau des adolescents, des adultes et des personnes qui sont en milieu de vie (autour de la quarantaine ou de la cinquantaine). A cet âge, le démon de midi frappe et le sujet se pose des questions sur son devenir.
Facteurs précipitants et facteurs de vulnérabilité
Les auteurs qui se sont intéressés à la problématique du suicide y ont associé divers facteurs. Ceux-ci se retrouvent généralement sous deux rubriques: les facteurs précipitants et les facteurs de vulnérabilité́. Ces derniers se rattachent soit au milieu, soit à̀ l’environnement immédiat, soit au jeune. L’anonymat, l’isolement, l’éclatement des valeurs, l’individualisme, l’accessibilité́ des moyens létaux, la couverture médiatique des suicides commis par des gens connus, la situation de l’emploi et des conditions financières font partie des éléments reliés au milieu. Le décès d’un proche, des placements répétitifs en famille d’accueil, la violence physique, l’alcoolisme ou la toxicomanie d’un ou des parents figurent parmi les facteurs appartenant à̀ l’environnement immédiat. Des difficultés de socialisation, des aspects physiologiques, une faible estime de soi, du désespoir, de la violence, de la dépression, etc., font partie des déterminants reliés au jeune lui-même (prédispositions individuelles). En ce qui a trait aux facteurs précipitants, le viol, l’avortement, la perte d’emploi, l’échec scolaire, un problème avec la justice, une rupture amoureuse, peuvent être signalés.
Au Burkina Faso, les causes du suicide sont multiples et multiformes. Il en va ainsi des troubles psychologiques, de la honte, du déshonneur, de la misère ou de l’échec, des mariages forcés, des problèmes familiaux, de la maladie,… Certains en viennent à se convaincre que leur vie n’a plus de sens. Les étudiants burkinabè qui ont opté pour le suicide l’ont-ils fait en raison des dures conditions de vie et d’étude dans les universités ? Se sont-ils suicidés par désespoir quant à leur avenir ? Il ne faudrait pas passer ces morts violentes par pertes et profits . Il urge que des investigations approfondies soient diligentées pour identifier les causes de ces suicides en cascade et trouver des solutions idoines pour y remédier. L’action est d’autant plus urgente que les jeunes peuvent constituer des proies faciles dans ce contexte d’insécurité.
Transformer la société en profondeur
En matière d’intervention, 03 niveaux peuvent être envisagés. La prévention primaire, la prévention secondaire et la prévention tertiaire. La prévention primaire vise à faire en sorte que la crise n’apparaisse pas. Elle renvoie à la réduction des facteurs qui déclenchent les problèmes et à l’amélioration des conditions qui favorisent la santé. La prévention primaire se produit donc avant la crise. On cherche alors à empêcher l’apparition du suicide ou encore à̀ identifier les facteurs susceptibles de provoquer la crise suicidaire. La prévention secondaire, quant à elle, comprend les interventions qui sont faites au moment de la crise. Nommée aussi «intervention», elle arrive pendant la phase suicidaire qu’elle cherche à apaiser. La prévention tertiaire concerne les mesures qui visent à empêcher la répétition de la crise et à réduire le taux des effets résiduels. Ce type de prévention désignée également sous le terme «postvention» survient après la crise.
Les intervenants sociaux ou les professionnels de la santé déploient des efforts pour venir en aide aux personnes qui ont des idéations suicidaires ou encore qui ont fait une ou plusieurs tentatives de suicide. Lorsqu’ils interviennent, ils s’enquièrent de l’état de la personne, de ce qu’elle pense, de ce qu’elle ressent, de ce qu’elle fait de son temps, etc. Ils cherchent à connaître l’évènement ou les évènements déclencheurs de la crise, les besoins, les ressources disponibles, les actions posées et leurs résultats… Ils répondent aux questions. Après avoir pris connaissance des besoins de la personne suicidaire, ils lui enseignent ce qui pourra lui être profitable : la légitimation et la régulation des émotions, la gestion de la colère, la tolérance à l’attente, la revalorisation de la vie, la négociation des manques ou des abus, l’expression du vécu, le sens de la discipline, l’apprentissage du droit inconditionnel d’exister, l’acquisition de l’estime de soi, la brisure de l’isolement, la protection, etc. L’un des rôles des programmes de prévention du suicide est de confronter les perceptions du jeune suicidaire à une réalité́ plus large. Les perceptions du jeune peuvent d’abord être de cet ordre : Comment un jeune étudiant pourrait-il avoir envie de vivre lorsque ses émotions sont presque toujours désagréables et envahissantes, voire intolérables? Comment pourrait-il aimer vivre lorsqu’il se réveille déçu, triste et en colère, que ces émotions lui « collent à la peau » toute la journée et qu’il s’endort le soir encore déçu, triste et en colère ? qu’il a toujours aussi peur et mal et qu’il n’a que le morceau de carton qui lui sert de sac de couchage pour verser ses larmes et confier ses blessures ? Comment pourrait- il avoir le goût de vivre lorsqu’il sait qu’il n’a pas su se faire aimer ou se rendre utile, ou que peu importe ce qu’il dira ou fera, il ne sera qu’un « moins que rien » et qu’il se fera critiquer, juger, rejeter ? Comment pourrait-il désirer vivre lorsque la vie lui semble n’être qu’un « sac à problèmes » et qu’elle ne lui laisse aucun répit ? Il importe d’aider les jeunes à réellement se connaître et à découvrir les ressources de leur entourage, puis de les soutenir pour qu’ils y trouvent leur place. C’est un vaste programme qui nécessite une transformation en profondeur de la société et des relations interpersonnelles. Les signaux ont été donnés par les étudiants qui se sont suicidés. Il ne faut pas fermer les yeux sur cette réalité fort peu reluisante.
Jérémie Yisso BATIONO
Enseignant chercheur
Ouagadougou
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