Terrorisme : A quel prix le Sahel vendra-t-il sa peau à Pau ?

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L’indignation est à son paroxysme sur tout le continent. Emmanuel Macron, le Président Français convoque les 05 chefs d’États du G5 Sahel à une réunion de « clarification » le 16 décembre dans la ville de Pau, en France. Le choix du lieu n’est pas fortuit. Pau est en effet la ville qui accueille le 5e régiment d’hélicoptères de combat, dont étaient issus 07 des 13 militaires français morts le 25 novembre 2019 au cours d’une opération au Mali. Désavoué par une partie de l’opinion française qui conteste la présence militaire au Sahel et face à la remise en cause de l’engagement des troupes françaises dans la lutte contre le terrorisme par de nombreuses voix africaines, Emmanuel Macron choisit de refiler la patate chaude aux Présidents africains. A Pau, ceux-ci doivent avoir le courage de lui dire les vérités en face. Il y a bien trop de zones d’ombre dans la coopération et la lutte contre le terrorisme.

Le ton d’Emmanuel Macron est comminatoire et totalement condescendant. Quelques extraits:« J’ai invité à Pau le 16 décembre prochain les cinq chefs d’États africains impliqués dans le G5 Sahel ». « J’attends qu’ils clarifient et formalisent leurs demandes à l’égard de la France et de la communauté internationale. Je veux des réponses claires et assumées. » «J’ai besoin qu’ils l’affirment politiquement devant leurs opinions publiques. » « Je ne suis pas au temps de la menace, mais j’ai besoin de ces clarifications pour continuer à maintenir la présence française ». « La France n’est pas là avec des visées néocoloniales, impérialistes ou avec des finalités économiques. On est là pour la sécurité collective de la région et la nôtre. »(…)

Emmanuel Macron justifie cette sortie par la « montée du sentiment anti-français » dans les pays du G5 Sahel. Ce postulat est déjà sujet à caution car les français vivent en parfaite harmonie avec les populations qui les accueillent. Sur le théâtre des opérations, les forces armées des différents pays du G5 Sahel collaborent aussi avec les troupes françaises. Les mouvements spontanés des populations ne peuvent aucunement s’apparenter à un sentiment anti-français. Ces mouvements sont l’expression normale de personnes qui ne comprennent pas pourquoi la lutte contre le terrorisme s’enlise dans leurs pays malgré les effectifs et les moyens déployés par la France. Clarification pour clarification, les présidents africains doivent aussi exiger des clarifications au président français par rapport à la stratégie française de lutte anti-terroriste au Sahel. Pourquoi l’armée malienne n’a toujours t-elle pas par exemple accès à Kidal ? L’heure de vérité a sonné pour Idriss Deby Itno, Roch Kaboré, Gazouani, IBK et Mahamoudou Issoufou. Il faut se parler « en toute franchise » pour un partenariat totalement décomplexifié. Autant l’Afrique a besoin de la France dans la lutte contre le terrorisme, autant la France a besoin de l’Afrique d’autant plus que c’est elle qui était à la tête de la coalition internationale qui a annexé la Libye et ouvert ainsi la boite de pandores aux terroristes qui se sont par la suite disséminés dans tout le Sahel.

En réalité, à mi-mandat, Emmanuel Macron recherche une bouée de sauvetage. Les succès militaires sont déterminants pour conquérir l’électorat français. Il veut donc se présenter en véritable chef de guerre. D’où ce ton acrimonieux utilisé pour s’adresser aux chefs d’États africains. En les convoquant à Pau, Macron tend un véritable piège aux chefs d’États du G5 Sahel. Au regard de la situation sécuritaire très préoccupante des différents pays, les chefs d’États se prononceront pour le maintien de Barkhane. Fort des « réponses claires et assumées », Macron exigera d’eux un soutien plein et entier à la politique française contre le terrorisme au Sahel même si les résultats sur le terrain ne sont pas à la hauteur des investissements. Auréolé de cette victoire, il pourra alors « vendre » la recette française aux partenaires européens afin d’obtenir un plus grand soutien de l’OTAN à la France.

Obtenir un soutien politique fort pour Takuba

La rencontre de Pau permettra aussi à la France de s’assurer du soutien sans réserve des États du G5 Sahel à l’opération Takuba (Sabre en tamachek) envisagée pour début 2020. Emmanuel Macron veut aller très vite. La nouvelle force militaire inventée par le ministère français des Armées (Takouba) viendra s’ajouter aux six autres déjà présentes sur le terrain. Ce sera donc la septième…

Outre les Forces armées maliennes (FAMa), on compte en effet l’opération française Barkhane (4 500 hommes), l’opération Sabre spécifique au Commandement des opérations, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au mali (Minusma), la Mission de formation de l’Union Européenne au Mali (EUTM), la mission de soutien aux capacités de sécurité intérieure maliennes (EUCAP Mali). Selon Florence Parly, ministre française des Armées, « Dès 2020, les forces spéciales françaises aux côtés des forces spéciales de nos partenaires européens seront déployées au Mali pour transmettre leur savoir-faire d’exception aux militaires maliens. Cette unité de forces spéciales européennes se nommera Takuba, qui signifie « sabre » en tamachek. Ce sera le sabre qui armera les forces armées maliennes sur le chemin de l’autonomie et de la résilience. La force Takuba complète Barkhane et dessine le nouveau visage de la lutte contre le terrorisme au Sahel. Tout en poursuivant notre combat contre les groupes terroristes, nous concentrons nos efforts vers la montée en puissance de nos forces partenaires. ». Takuba, une nouvelle désillusion en perspective ?

Jérémie Yisso BATIONO
Enseignant chercheur
Ouagadougou

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