Le régime de Bachar el-Assad semble faire fi de la résolution adoptée de manière unanime samedi 24 février par le Conseil de sécurité des Nations unies. Et pour cause, les raids aériens se sont poursuivis ce dimanche matin, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Deux frappes ont eu lieu à la périphérie de Douma, la grande ville de la Ghouta orientale. Les précisions de David Rigoulet-Roze, enseignant-chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique.
Rfi : Vingt-quatre heures à peine après le vote sur la résolution d’une trêve humanitaire, le cessez-le-feu réclamé sans délai par le Conseil de sécurité des Nations unies ne semble pas être respecté par Damas. Cette résolution a-t-elle une portée purement honorifique et symbolique ?
David Rigoulet-Roze : C’est tout le problème. Effectivement, cette trêve a l’air de voler en éclats, d’être mort-née. Mais d’une certaine manière ce n’était pas forcément surprenant, parce que derrière l’affichage œcuménique plus ou moins contraint, à l’issue du vote de la Résolution 24-01 avec la Russie à l’unanimité, derrière, de manière sous-jacente, il y avait des interrogations qui subsistaient, qui étaient très fortes, parce que la Russie avait pris soin de mettre un certain nombre de conditions expresses.
D’abord de refuser un délai contraignant de type 72 heures avant une application effective de ladite trêve et par ailleurs le fait qu’étaient exclus de cette trêve potentielle tous les groupes coopérant avec les jihadistes, et de manière générale tous les groupes relevant des insurgés contre le régime de Bachar el-Assad, qualifiés – à tort ou à raison – de terroristes par le régime. Et donc ce n’est pas forcément surprenant qu’il y ait ces opérations ce matin, dans la mesure où cela fait partie de l’interprétation putative sous-jacente à la trêve qui a été votée.
L’Elysée a annoncé ce dimanche un entretien téléphonique entre le président Macron, la chancelière Merkel et le président Poutine. Jean-Yves Le Drian, le chef de la diplomatie française sera de son côté à Moscou mardi. Qu’attendre de ces entretiens diplomatiques ?
Probablement peu de choses, parce qu’en réalité le vote de la résolution était le résultat d’un compromis. Pour les Russes, il s’agissait de montrer qu’ils ne pouvaient pas être tenus comptables de bombardements indiscriminés sur des civils. Donc il y avait effectivement de leur part le souci de ménager leur image. Du côté des Occidentaux, il s’agissait aussi en termes d’image de montrer que quelque chose était fait pour alléger les souffrances des populations civiles qui se trouvent dans cette Ghouta orientale.
Mais les deux parties savaient très bien de toute façon que cette trêve était plus ou moins hypothéquée, dans la mesure où ça renvoie au désir inébranlable du régime de reprendre en main cette région qui est très symbolique pour lui. D’abord parce qu’elle est dans la banlieue de Damas et que c’est de là qu’étaient partis les premiers groupes qui avaient failli faire tomber le régime au début de l’insurrection. Et donc, de ce point de vue là, les conditions extrêmement strictes, qui laissent une marge de manœuvre au régime et qui étaient demandées par la Russie, sont aujourd’hui validées.
A votre avis, c’est la raison pour laquelle la Russie a accepté la résolution adoptée hier, résolution qui a été amendée à maintes reprises ?
Oui, probablement. C’est un jeu de dupe d’une certaine manière, avec une logique d’affichage qui convient à tout le monde. Il y a une forme d’hypocrisie des différents acteurs et aussi d’inquiétude, de préoccupation. Et on peut penser que les Occidentaux aussi sont plus ou moins tétanisés aujourd’hui par le tour que prend la guerre syrienne.
D’ailleurs, les autorités françaises, par la voie de l’ambassadeur François Delattre, ont insisté sur le fait qu’il y avait un élargissement du conflit au niveau régional et potentiellement international. Donc, il y a une grande inquiétude. On a l’impression que les choses échappent aux différents acteurs, y compris d’ailleurs à la Russie, qui ne semble pas vraiment en mesure d’imposer ses impératifs au régime de Damas qu’elle a soutenu et sauvé. Et donc cela explique aussi pour partie ces incertitudes et ces hésitations au niveau de la communauté internationale.
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