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Javier Buceta, professeur agrégé de bioingénierie et Paolo Bocchini, professeur adjoint d’ingénierie civile et environnementale, avaient reçu une subvention en avril des National Institutes of Health, pour développer un outil pour estimer le risque d’une épidémie d’Ebola à partir des chauves-souris.
Leurs travaux, publiés fin mai dans la revue Nature, se base sur un modèle utilisant des informations sur les taux de naissance et de décès des chauves-souris, le taux d’infection au virus Ebola, la mobilité, les changements saisonniers et les informations sur la disponibilité de nourriture.
L’auteur principal de l’étude, Javier Buceta, a expliqué à SciDev.Net qu’en « utilisant les données satellitaires et la modélisation mathématique, nous avons développé un cadre permettant de prédire dans l’espace et dans le temps les risques d’infection par le filovirus chez les chauves-souris. »
Javier Buceta s’est rendu compte que d’autres chercheurs qui s’intéressaient à la dynamique de la transmission du virus suivaient surtout des modèles de transmission interhumaine.
Pour développer leur outil de prédiction, Javier Buceta a travaillé avec une étudiante de Lehigh, Kaylynn Johnson – actuellement à l’école de médecine vétérinaire de l’Université de Pennsylvanie – et a développé un modèle mathématique pour comprendre comment les dynamiques d’infection au virus Ebola chez les chauves-souris sont liées aux facteurs environnementaux.
Le modèle informatique développé par les chercheurs est connu sous le nom de Predictive Analysis of the Risk of Ebola Outbreaks (PAREO – Analyse prédictive du risque d’épidémie d’Ebola.)
De fait, explique-t-il, ce modèle a permis de prédire de manière rétroactive les pics d’infection chez ces chiroptères, lors de l’épidémie d’Ebola de 2014, en Afrique de l’Ouest, en déterminant où et quand l’épidémie avait commencé.
Cette épidémie a coûté la vie à plus de 11.000 personnes et a été la plus meurtrière enregistrée depuis l’identification du virus dans l’ex-Zaïre, en 1976.
Le virus Ebola fait en effet partie des zoonoses avec le taux de mortalité le plus élevé – jusqu’à 90% [World Health Organisation – Building the legacy of Ebola: Survivors, health systems, and a blueprint for research and development].
Par conséquent, la compréhension des facteurs et des mécanismes qui mènent à des épidémies associées aux filovirus est extrêmement importante.
« Les facteurs culturels et socio-économiques jouent un rôle critique, par exemple, les marchés de la viande de brousse, ainsi que les pratiques d’inhumation », explique Javier Buceta. « De même, l’interaction des humains avec l’environnement est également importante, par exemple, la déforestation. Nous essayons aussi d’aborder ces facteurs dans nos recherches », précise le chercheur.
La souche du virus Ebola (EBOV) découverte lors de l’épidémie de 2014 en Afrique de l’Ouest a été identifiée comme étant celle du Zaïre.
Ceci suggère l’importance des facteurs de mobilité dans les zoonoses, même s’il n’y a pas de preuves définitives sur l’origine du réservoir de l’épidémie, explique l’étude.
L’Organisation mondiale de la santé a conclu qu’avant le début de l’épidémie, l’enfant qui était à l’origine de la chaîne de transmission était allé jouer dans son jardin près d’un arbre fortement infesté de chauves-souris et pointait l’exposition d’un humain aux chauves-souris.
Cependant, aucune donnée épidémiologique ou génétique n’associe cette espèce réservoir présumée à l’épidémie de 2014.
Or, estiment les chercheurs, il existe des preuves que les activités humaines telles que la déforestation, ont un impact sur les habitudes migratoires des animaux, la quête de ressources pour la survie entraînant un contact plus étroit avec les humains.
La République démocratique du Congo, premier pays où le virus d’Ebola a été découvert, en est aujourd’hui à sa neuvième épidémie.
Selon le dernier bulletin de l’OMS sur la situation épidémiologique, 38 cas d’Ebola ont été confirmés au 28 juin dernier, 15 cas probables, deux cas suspects, soit un total de 55 cas, dont 29 morts.
En termes pratiques, selon Javier Buceta, pour que le modèle mathématique fonctionne, il faudrait déjà déterminer si l’épidémie actuelle est liée à l’écologie des chauves-souris ou à d’autres facteurs.
« Ebola est un problème complexe et dans ce contexte, notre étude vient souligner que l’écologie des chauves-souris est un facteur important à prendre en compte, mais pas le seul. Dans tous les cas, même si l’analyse aboutissait à un résultat ne reliant pas l’épidémie actuelle aux chauves-souris, ce serait un résultat utile car cela permettrait de se concentrer sur d’autres raisons possibles », nuance le chercheur.
Pour sa part, Sabue Mulangu de l’Institut National pour la Recherche Biomédicale, basé à Kinshasa, insiste aussi sur le fait que la preuve définitive concernant le réservoir naturel du virus Ebola n’est pas encore formellement établie. Ceci, suggère-t-il, rend très limitée la portée de l’étude.
« Les études menées en RDC et ailleurs en Afrique centrale, notamment au Gabon, ont apporté quelques évidences qui pointent les chauves-souris comme possible réservoir », rappelle-t-il, avant d’ajouter : « C’est une probabilité qui n’est pas encore absolue car jusqu’à présent le virus d’Ebola n’a jamais été trouvé vivant naturellement dans le corps d’une chauve-souris. »
Le chercheur congolais insiste par ailleurs aussi sur la complexité des facteurs qui concourent à la résurgence du virus d’Ebola.
« Nous sommes en train de les étudier en utilisant différentes approches, notamment épidémiologiques et écologiques. Cependant nous ne sommes pas encore arrivés à les cerner tous au point de pouvoir prédire les survenues des épidémies d’Ebola. »
Sabue Mulangu ne sous-estime pas pour autant l’importance de l’étude de l’équipe de chercheurs de l’université de Leigh : « elle essaie d’analyser les données environnementales liées à l’écologie des chauves-souris, pour tenter de construire un modèle de prédiction mathématique. C’est une approche intéressante, du fait qu’elle essaie de prendre en compte le fait qu’une épidémie d’Ebola est multifactorielle. »
Toutefois, estime-t-il, l’approche de l’équipe de Javier Buceta devrait être testée à une échelle plus réduite.
« Au lieu de collecter et d’analyser les informations de l’ensemble du continent africain, on pourrait se concentrer sur l’ex-province de l’Equateur, qui a connu quatre des neuf épidémies d’Ebola qui ont sévi en RDC », fait-il valoir.
La collecte et l’analyse systématique des données de l’environnement par relevés satellitaires sur une longue période de temps, couplée à des études écologiques de terrain sur les populations de chauves-souris (migration, niche, etc.) pourraient fournir, dans un tel contexte, des informations plus solides concernant la capacité de prédiction ou pas du modèle », assure-t-il.