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Cette « nouvelle » maladie qui touche le manioc, la « striure brune », pourrait provoquer une « catastrophe alimentaire », ont ainsi alerté le 12 avril à Abidjan des chercheurs africains du Wave, appelant à une riposte de la part des gouvernements.
Une menace sérieuse ? Philippe Vernier est agronome spécialiste du manioc au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), à Montpellier, et auteur de Le manioc, entre culture alimentaire et filière agro-industrielle (Editions Quae CTA, 2018). Jeune Afrique l’a rencontré pour parler de la « striure brune » qui touche le manioc.
Jeune Afrique : Le 12 avril dernier, à Abidjan, une équipe de chercheurs du Wave a alerté l’opinion publique sur le développement de la « striure brune du manioc » qui pourrait provoquer des pertes de rendement des cultures de 90 % à 100 %. Faut-il s’alarmer ?
Philippe Vernier : Il faut faire attention aux effets médiatiques, même si la menace est sérieuse. Contrairement à ce que j’ai pu lire à ce sujet, la striure brune n’est pas une maladie nouvelle. On en retrouve des foyers en Ouganda dès les années 1920-1930. Comme d’autres virus virulents tels que « la mosaïque africaine du manioc », elle est apparue en Afrique de l’Est. Depuis une vingtaine d’années, des souches plus virulentes de la maladie ont vu le jour, notamment au Mozambique, et se diffusent progressivement sur l’ensemble du continent. Jusqu’à atteindre aujourd’hui des pays comme le Cameroun ou le Nigeria.
Qu’est-ce qui rend la menace plus sérieuse qu’avant ?
De nos jours, le matériel végétal circule beaucoup plus facilement d’un pays à l’autre et les productions ont été démultipliées. Le manioc est pour ainsi dire victime de son succès. C’est une plante dite à multiplication végétative, c’est-à-dire que les fermiers la cultivent en réalisant des boutures. On fait du manioc à partir de manioc, pas à partir d’une graine. Or c’est un aliment de base en Afrique centrale depuis longtemps. Et il le devient aussi de plus en plus en Afrique de l’Ouest. Le tout fait que les maladies se répandent plus vite et plus facilement.
L’alerte a pour objectif de faire diriger davantage de financements vers la recherche
En République du Congo, au Mozambique ou en Angola, la consommation par personne et par an dépasse les 500 kg (le manioc réduisant à la cuisson). Depuis les années 1960, la consommation comme la production se sont largement développées en Afrique subsaharienne, notamment en Afrique de l’Ouest. Le Nigeria est par exemple devenu le premier producteur mondial (plus de 50 millions de tonnes par an), alors que sa production était totalement insignifiante dans les 1960. Depuis 1961, le Rwanda a multiplié sa production par 17, le Ghana par 13, le Bénin par 11… Les Ghanéens consomment aujourd’hui presqu’autant de manioc par personne et par an que l’Angola ou le Mozambique.
Comment expliquer ce succès ?
C’est un aliment nutritif, pas cher et qui se contente de sols relativement pauvres en nutriments. C’est une culture peu exigeante en somme. Or depuis des décennies, la fertilité des sols en Afrique diminuent tandis que la population ne cesse de croître. Le manioc est une réponse efficace face à ces contraintes. Et elle pourrait le devenir de plus en plus à l’avenir. Face aux changements globaux et notamment au réchauffement climatique, ses caractéristiques de résilience devraient encore accroître son importance pour la sécurité alimentaire des pays tropicaux.
Les chercheurs agronomes semblent pourtant s’en désintéresser…
Oui et c’est une erreur. Pour se protéger de la striure brune, il faudrait trouver des variétés résistantes. C’est une plante peu consommée dans les pays du Nord et moins prestigieuse que les céréales. Mais elle est un aliment de base pour près de 800 millions de personnes dans le monde, dont près de 500 millions d’Africains. Cela explique l’alerte lancée par les chercheurs du Wave pour que davantage de financements soient dirigés vers la recherche.
L’Afrique pourrait devenir un acteur important de ces filières dans les décennies à venir si elle parvient à le transformer sur place
C’est aussi une plante délaissée par la culture de rente. N’y a-t-il pas de marché potentiel à l’exportation ?
Si, mais pour ça, il faut la transformer sous forme de manioc sec ou d’amidon. Le manioc brut contient beaucoup d’eau et est donc très périssable. Mais transformé, il y a un vrai marché potentiel. Les Asiatiques l’ont bien compris. Là-bas, la filière est de plus en plus pilotée par l’aval et par les transformations post-récolte pour l’approvisionnement des industries agro-alimentaires et non alimentaires premières, comme par exemple pour fabriquer du bioéthanol. Ces nouveaux débouchés sont une source de revenus supplémentaires pour les agriculteurs. L’Afrique, qui constitue plus de 56 % de la production mondiale, est encore peu active sur le marché international, mais elle pourrait devenir un acteur important de ces filières dans les décennies à venir si elle parvient à le transformer sur place.
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